A travers de nombreuses archives Jean-Gabriel Périot retrace l'histoire de la Rote Armee Fraktion ou Fraction Armée Rouge plus communément appelée "la bande à Baader", groupe terroriste révolutionnaire allemand des années 1970 fondé notamment par Andreas Baader et Ulrike Meinhof. Prix International de la SCAM au Festival Cinéma du Réel 2015, le film a été soutenu par l'ACID lors de sa sortie en salle.
Premier rôle : Ulrike Meinhoff
Premier rôle : Andreas Baader
Premier rôle : Holger Meins
Premier rôle : Gudrun Hensslin
Premier rôle : Horst Mahler
Réalisation : Jean-Gabriel Périot
Scénario : Jean-Gabriel Périot
Producteur : Blinker Filmproduktion
- Date de sortie en salles : 14 octobre 2015
- Type de film : Long métrage
- Couleur : Noir et blanc et couleur
- Langue : Allemand
- Date de production : 2014
- Pays de production : Suisse
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Critiques (3)
- Critikat.com - Raphaëlle Pireyre: Une jeunesse allemandeC’est la double tutelle de Jean-Luc Godard et Rainer Werner Fassbinder qui encadre le premier long métrage de Jean-Gabriel Périot, Une jeunesse allemande.
Le premier s’interroge sur la possibilité de faire des images dans l’Allemagne d’après-guerre. Le second, dans un extrait de L’Allemagne en automne, reproche violemment à sa mère d’excuser les mesures autoritaristes de l’État contre les membres de la RAF (Fraction Armée Rouge autrement connue sous le nom de Bande à Baader) qui ont alors pris en otage un avion pour exiger la libération de prison de certains des leurs. Le film balance entre les interrogations et doutes des deux cinéastes.
L’intervention de Godard vient porter l’attention sur la difficulté de produire des images en un lieu et en un temps où toutes les valeurs ont vacillé. Ce qui se joue dans le dialogue entre la mère et le fils, c’est l’irréconciliable fossé qui oppose ces deux générations quant à la réaction face à la violence, qu’elle soit d’État ou relevant d’un petit groupe d’action armée. Les cris du fils expriment toute la difficulté pour la jeunesse allemande de l’après guerre à considérer avec confiance un appareil d’état dont la dénazification a été bâclée.
La question de l’absence de père a agité tout le cinéma de fiction de cette époque là, celui de Fassbinder, bien sûr, ou encore de Wim Wenders. Absence idéologique d’une génération coupable d’être née au mauvais moment. Mais absence également cinématographique dans une industrie dont toute la filière a été gangrenée par le nazisme.
Un travail de recherche d’archives aussi patient que coûteux aura permis à Jean-Gabriel Périot de déceler une mine d’or et de délimiter un fascinant corpus qui court, sur une décennie de 1965 à 1975 environ, de la naissance en image de quelques membres de la RAF à leurs morts violentes. Sous le patronage, donc, de leurs illustres grands frères de cinéma, se déroulent les images filmées dans les années suivant ce trou béant, absence complète de transmission du geste cinématographique.
Jean-Gabriel Périot prend ce matériau à bras le corps et use du montage pour faire s’entrechoquer les images qu’il a trouvées et dont le spectateur identifie assez aisément deux provenances principales : une part d’entre d’elles consistent en des films d’étudiants de la DFFA (Deutsche Film- und Fernsehakademie) qui donnera lieu à un groupe de cinéma militant, le Rosta Kino. Films engagés pédagogiques (comme le téléfilm Bambule d’Ulrike Meinhof) ou exhortant à la violence (Comment construire un cocktail Molotov de Heins ou cet autre qui simule par un simple trucage d’échelle la mise à feu avec une allumette du Palais de justice). Ce sont leurs images qui ouvrent et ferment le film : le tout premier plan fait brandir à un homme son revolver face au spectateur. Le tout dernier est un générique parlé, collectif et anonyme, geste éminemment socialiste et utopique qui pense les images pour leur destination et non par leur provenance.
Arme ou utopie, les images produites par la RAF se dilueront toutes dans le passage à l’acte. L’autre champ d’images réemployées dans Une jeunesse allemande est celui, foisonnant, de la télévision. Ulrike Meinhof y apparaît souvent, soit en tant que réalisatrice de sujets de société, soit en tant que rédactrice en chef du journal Konkret, aux idées proches du communisme. Farouchement convaincue que la jeunesse doit être une voix dans la société, elle y tient des débats au sujet de la jeunesse, des femmes, de l’impossible confiance dans l’autorité. Pas à pas, la confrontation des mises en scène du débat télévisé et les ciné-tracts dessine une société où toute contestation de l’ordre établi s’avère impossible et où les espaces de discussion sont inexistants.
C’est l’extraordinaire corpus d’images qui documente ces activistes des deux côtés de la caméra (comme des figures publiques, mais aussi comme cinéastes engagés) qui a poussé Jean-Gabriel Périot à s’intéresser à cette lutte en particulier, plutôt qu’à d’autres concomitantes.
Précisément, ce à quoi s’arrime Une jeunesse allemande, c’est le basculement de l’utopie de mener une lutte politique par l’image (ou, comme il est scandé dans l’une des archives, de « faire politiquement du cinéma »,) au passage à l’action violente et meurtrière. Alors que le film entérine dans un premier temps, la pugnacité d’une poignée de jeunes à prendre la parole qu’on ne leur donne pas, la confiscation de leur voix apparaît d’autant plus violente dans la seconde partie.
Lorsqu’ils troquent la contestation verbale pour l’action armée et donc l’espace public pour la clandestinité, le film accuse une brusque rupture. Avec cet échec de l’utopie de l’action par l’image, c’est comme si tout discours d’opposition devenait inenvisageable. La présence de Meinhof est remplacée par des photos de ses transformations physiques et celle qui représentait une voix devient ennemie publique (...)
Le temps extraordinairement long qu’a pris la documentation du film a cet effet bien particulier qu’entre son idée en germe et sa sortie en salles, l’état politique du monde a changé. Alors que Jean-Gabriel Périot dit s’être intéressé à cette question d’une jeunesse terroriste en entendant George W. Bush tenir des discours binaires et liberticides suite aux attentats de 2001, aujourd’hui où nous recevons ce montage d’images du passé, elles prennent un écho tout particulier au vu des événements. L’interrogation sur la genèse de l’action terroriste prend en effet tout son sens dans un contexte où la France cherche à dénoncer bien plus qu’à questionner en profondeur les mêmes envies de cocktail Molotov chez ses enfants perdus.
- La Gazette Utopia - .: Une jeunesse allemandeSi ce film documentaire impressionne et captive autant, c'est pour plusieurs raisons qui nous frappent immédiatement, pendant la vision, ou un peu plus tard, à la réflexion : sa construction qui le rend immédiatement prenant et extrêmement vivant, actuel ; son parti pris de ne travailler qu’à partir d'images d’archives, de ne pas surligner le propos de dates, de didactisme, un choix qui nous pousse donc à suivre les événements comme si on y était, en direct ; le choix pertinent de la musique révoltée et urgente de l’époque qui nous plonge dans son ambiance ; et surtout peut-être le fait qu’il nous immerge dans les réflexions des protagonistes, sans prononcer de jugement, sans prendre parti.
Clairement, la plupart des questions qu'ils se posent, on les a tous plus ou moins partagées. Les analyses qu’ils font résonnent avec les nôtres. Comment se faire entendre d'un pouvoir qui oppresse, d'une société de consommation qui avilit, de médias qui abêtissent ? Quelle latitude cette société nous laisse-t-elle pour s’exprimer ? Quels sont les moyens efficaces pour résister, lutter ?
Ulrike Meinhof (journaliste), Holger Meins (cinéaste), Horst Malher (avocat), Gudrun Ensslin et Andreas Baader (étudiants)… Nés autour de la seconde guerre mondiale, ces jeunes Allemands brillants qui vont de plus en plus se radicaliser sont le fruit de la démocratie ouest allemande. Engagés, ils testent tous les moyens à leur portée pour faire entendre leur différence : l’art, la création d’un journal, les meetings… L’effondrement du mouvement étudiant, fin 1968, va les pousser vers ce qu’ils appelleront une « guérilla urbaine ». En 1970 nait la RAF : Rote Armee Fraktion ou Fraction Armée Rouge… Si le groupe, entré dans la clandestinité, commence par braquer des banques pour se procurer des subsides, il n’en restera pas là… Bombes, enlèvements : s'engage une épopée sanglante qui bouleversera l’Allemagne… et toute l'Europe avec elle !
Leurs actions vont avoir des répercussions particulièrement fortes dans les pays limitrophes comme la France, qui suivra chaque étape de cette montée de violence avec effroi. C'est qu'au delà du cas allemand, le phénomène de la radicalisation interroge nos systèmes politiques et leurs limites.
On peut étendre la réflexion du film à d'autres organisations qui connaîtront le même basculement. On se souvient facilement de l'IRA, de l'ETA, du FLN, des Blacks Panthers, un peu moins des Tigres de la libération de l'Îlam Tamoul… On a un peu plus oublié l'ASA (Armée Secrète Arménienne pour la libération de l'Arménie), le FLQ (Front de Libération du Québec)…
Ce serait bien sûr simpliste et faux de les mettre tous dans le même sac. On ne peut se contenter d'analyses de comptoir alors qu'on pénètre sur un terrain miné, truffé de peurs, de morts et de souffrances. Les moteurs de ces mouvements, leurs idéologies, la nature de l'oppression qu'ils subissent ou pensent subir… tant de choses diffèrent. Mais dans tous les cas la ligne de démarcation semble parfois ténue entre ce qui distingue un justicier d'un criminel.
Qu'est-ce qui légitime la prise des armes, les victimes qui en résultent ? En 1942, en France, Monseigneur Piguet, évêque de Clermont, ne qualifiait-il pas de terroristes les actes de ceux que l'on a par la suite décorés et appelés des résistants (certes on était en temps de guerre) ?
À bien les décortiquer, tous ces pans d'Histoire épineux nous offrent un éclairage fascinant sur notre époque contemporaine et nous en restituent toute la complexité. Ce n'est certes pas anodin si des cinéastes s'en emparent actuellement. Les hommes heureux n'ont pas d'histoires… Comblé, en sécurité, qui éprouverait le besoin de fuir son pays ou d'en contester violemment les fondements ?
Le travail de Jean-Gabriel Périot est rigoureux, impeccable : sans faire l’apologie du terrorisme, il le questionne et le documente, en montre toutes les facettes, ses conséquences sur le peuple, l’opinion, son traitement par les médias. C’est vraiment passionnant, très dense, et on est presque frustré quand ça s’arrête.
- Un mot de l'ACID - Tariq Teguia: Une jeunesse allemande"L'entrelacement est ici infini entre cinéma et politique."
Retrouvez le texte complet sur le site de l'ACID.
L'ACID est une association née en 1992 de la volonté de cinéastes de s'emparer des enjeux liés à la diffusion des films, à leurs inégalités d'exposition et d'accès aux programmateurs et spectateurs. Ils ont très tôt affirmé leur souhait d'aller échanger avec les publics et revendiqué l'inscription du cinéma indépendant dans l'action culturelle de proximité.
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