" Rien n'est plus difficile à cerner que le pathétique. Cela tient de la prestidigitation et de la leçon de choses. Pour être imparable, il faut désigner les trucs et les codes, les détourner sans assassiner le réel par une conformation au banal et à la mode.
Dans l'idée de « pathétique», il y a un corollaire implacable : joindre la théâtralisation (boursouflure, baroque, exacerbation des matériaux humains et des accessoires) à l'émotion directe (par rapport à l'empirisme comme à l'analyse). Cette articulation ébauchée dans certains travaux de Jean-Luc Godard (
Le Mépris) ou éclatant soudain quelques secondes dans certaines œuvres de Nicholas Ray et Samuel Fuller, semble avoir été la préoccupation première d'Andrzej Zulawski pour son troisième long métrage.
A l'origine, un roman un petit peu roublard (La Nuit américaine, de Christopher Frank) et des arrangements de coproductiontion. Donc, une série d'obligations tacites pour la confection d'un produit standard à la française, froid, faussement distancié et brassant la double mythologie dont se félicite le pouvoir : le rétro et le fatalisme.
Propulsé dans une telle clôture, Zulawski ne s'est pas laissé piéger par la nature intrinsèque de ces nouveaux stéréotypes et son travail de mise en scène contredit le sujet en permanence pour conduire le récit vers un ailleurs, lieu où les masques tombent dans les ruisseaux de sang, de coups, de tournoiements misérables et sordides, avec des personnages perdus dans un grouillement nocturne et poisseux (...)
La structure d'ensemble désigne un processus d'inversion qui, de la première à la dernière séquence, ne cesse de s'autocritiquer. La première séquence montre le tournage d'un film porno. Un figurant, le visage recouvert de rouge (sang fictif) et une comédienne qui lui dirait : Je t'aime. Dernière séquence, le héros est couvert de vrai sang (mais fictif, car c'est aussi un film) et la même comédienne lui dit, sans jouer (?) : « Je t'aime ».
Ce maillon du spectacle dans le spectacle régira toute la construction. Klaus Kinski et son metteur en scène ne cessant de (se) donner en spectacle leur caricature, Jacques Dutronc essayant vainement de placer des éléments pour réorganiser son quotidien, inflationné, en crise... Fabio Testi qui aimerait que ses fantasmes soient des réalités, Claude Dauphin qui organise des chantages à l'aide de miroirs sans tain et de manipulations déistes et passablement dégueulasses.
La programmation est ventilée de telle sorte que chacun y perd son contre-poids. Toutes les données du départ se détournent et s'inversent jusqu'à provoquer une mise en crise du spectacle qu'est le film (et de l'idée de cinéma). Le passage de ce miroir vie-théâtre se fait précisément avec la représentation de théâtre, scène agitée de soubresauts shakespeariens détournés, simulant l'hystérie dans une extériorisation maladroite, permettant ensuite une démolition des stéréotypes par la caricature ou l'emphase.
Après cette séquence, il y a un jeu de boomerang où notre responsabilité de spectateur est indéniable. Nous tuons Dutronc, nous démolissons ces marionnettes, nous nous voyons en face puisque la structure a bougé jusqu'à transformer l'écran en miroir, et non plus en masque commode et confortable.
De même, les acteurs sont mis sur une position oscillante. Il y a là du funambulisme, tant dans les rapports qu'ils entretiennent avec leur personnage que dans les prolongements que cette aventure cinématographique produira chez eux. Ainsi Klaus Kinski, généralement héros de spaghetti-western, devenant un héros à la Mankiewicz ; Fabio Testi dirigé et situé à l'inverse de ses emplois ordinaires ; Romy Schneider détruisant son aspect « glamour » avec une pertinence suicidaire.
Tous les éléments concourrent à cela. Tant et si bien que le film devient un film sur le cinéma, sur l'irresponsabilité et sur l'idée de révélateur. L'important c'est d'aimer marque, par ce biais, l'apparition de l'intelligence dans le cinéma commercial français."