La véritable histoire de Paul qui, après deux années au front, se mutile et déserte. Pour le cacher, son épouse Louise le travestit en femme. Dans le Paris des Années Folles, il devient Suzanne. En 1925, enfin amnistié, Suzanne tentera de redevenir Paul…

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Critique (1)

Télérama - Pierre Murat: Nos années folles
" Les tranchées de 14-18. L’horreur. Le bruit. Ou alors un silence qui fait encore plus peur. Paul n’en peut plus. Il décide de déserter, se cache avec la complicité de sa femme, Louise, dans un espace réduit de leur appartement où il étouffe… Qui des deux a, le premier, l’idée biscornue, extravagante, ridicule de déguiser Paul en fille ? Elle, sans nul doute. Lui renâcle, rigole, gueule. Mais le désir de fuir sa cachette, de respirer l’air pur, de croiser à nouveau le regard des gens fait son chemin. Perruqué, maquillé, corseté, Paul devient Suzanne. Et, passé la gêne et la maladresse, devenir femme lui plaît assez. Beaucoup. Trop… A la fin de la guerre, il continue à vivre en Suzanne. A séduire les hommes dans des soirées chics. Et — qui l’eût cru ? — à se prostituer, avec l’accord de sa femme, pour assurer le train de vie du ménage. A y prendre même un plaisir secret. Quelques années plus tard, après avoir été amnistié comme déserteur, Paul devient le héros d’un spectacle où il joue son propre rôle…
Insensé ? L’histoire est vraie, pourtant. Et ce qui la rend troublante, dérangeante, c’est qu’André Téchiné ne cherche jamais à la rendre vraisemblable. Son style l’a toujours poussé à brûler les étapes : ne rien expliquer, jamais, pour mieux laisser aux spectateurs le soin d’éclairer, s’ils le souhaitent, ce qu’il laisse dans l’ombre. C’est que, chez lui, nul n’est fait d’un seul bloc. Le Paul qui déserte n’est pas le Paul qui se travestit et encore moins le Paul qui se prostitue. Ce sont ces Paul multiples, et irraisonnés, qu’il décrit, puisque les êtres, à ses yeux, sont des mosaïques : les pièces d’un puzzle qui, parfois, restent éparses…
Nos années folles, son film le plus réussi depuis longtemps, avance entre deux influences protectrices. Le lyrisme de Jean Renoir, d’un côté, avec des ouvrières au travail : gestes précis, rires en dépit des privations subies et solidarité sans faille devant les obstacles que leur oppose la vie. On se croirait dans une chanson de Berthe Sylva (« L’atelier d’couture est en fête/On oublie l’ouvrage un instant/Car c’est aujourd’hui qu’Marinette/Vient juste d’avoir ses vingt ans »). Et, de l’autre, l’extravagance superbe de Max Ophuls : la petite scène du cabaret où se produit Paul-Suzanne évoque, en modèle réduit, le cirque de Lola Montès. Le meneur de jeu à houppette (Michel Fau) est le reflet grotesque de Peter Ustinov, et le public pose à ceux que l’on contraint de s’exhiber sur scène des questions brutales et impudiques, auxquelles Paul, comme Lola, ne peut pas répondre. Mais c’est Téchiné et lui seul que l’on retrouve dans la présence obsédante des corps : ceux, virils, qui se féminisent et ceux, très beaux, que la guerre disloque. C’est peut-être la rencontre de Suzanne avec une gueule cassée, une nuit, dans un parc, qui fera accepter à Paul sa différence. C’est la découverte de sa nouvelle peau qui le poussera vers son destin. Que scellera, d’ailleurs, l’irruption d’une autre chair, toute neuve. Avec le bébé qu’elle attend, la réalité reprend brutalement possession de Louise (Céline Sallette, impeccable), après des années d’engourdissement et de mirages. Mais la Suzanne qu’elle aura contribué à créer lui résistera alors. Et ce sera l’enfer…
Une fois de plus, le réalisateur filme l’histoire d’une passion. Pierre Deladonchamps (de mieux en mieux et, ici, absolument formidable) ne peut résister à Suzanne, comme Catherine Deneuve, dans Le Lieu du crime (1986), ne pouvait s’empêcher d’abandonner les siens pour suivre un homme de désir. Tous les héros du cinéaste se métamorphosent, en fait, à leurs risques et périls. Et c’est leur transformation — leur mue — qui fascine."

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