Liste de lecture deCédric Klapisch
57 filmsParis. Hôtel-Dieu. Urgences psychiatriques. Des personnes arrivent désespérées : un conducteur de bus épuisé, un self-made man qui s'effondre, une ménagère qui ne supporte plus son statut, une jeune femme qui a tenté de se suicider, un retraité qui se dit "malade moral"... Depardon rend compte de manière inédite de la relation patient-psychiatre avec la puissance, le rythme et la densité du vrai. Grand Prix du festival documentaire de Florence, Italie.
Réalisation : Raymond Depardon
Directeur de la photo : Raymond Depardon
Montage : Roger Ikhlef
Montage : Jacqueline Guillet-Leroux
Son : Claudine Nougaret
Son : Jean-Pierre Laforce
- Date de sortie en salles : 09 mars 1988
- Type de film : Long métrage
- Couleur : Couleur
- Langue : Français
- Date de production : 1987
- Pays de production : France
proposé par :
partager
Critiques (4)
- Le Monde - Félix Guattari: Urgences"Un document extraordinaire sur la psychiatrie actuelle. Raymond Depardon est un maitre du regard comme d'autres sont maitres d'escrime. Mais par quelle botte secrète réussit-il, dans son film Urgences, à convertir sa volonté de mise à nu des visages de la folie et de la misère en oeuvre d'art ? Je laisse à d'autres le soin d'analyser les dimensions filmiques de ce phénomène. Je ne fais qu'en prendre acte."
- Libération - Eric Favereau, 9/03/1988: Urgences"On rit parfois. Un rire franc et tranquille sans arrière-pensées ni honte aucune. Un rire de tous les jours. Et pourtant, bien évidemment, ce ne sont pas ces éclats de rire épars qui caractérisent le mieux ce long reportage de Raymond Depardon, « Dans l'univers des urgences psychiatriques ». Indiscret, violent, triste, lourd, tous les qualificatifs de l’émotion seraient mieux venus pour évoquer ces moments de fêlure qui se succèdent, image après image ; ce goutte-à-goutte de solitude qui déborde inexorablement.
Après les commissariats (Faits Divers) puis la presse (Numéro Zero), Raymond Depardon a donc décidé d'installer sa boîte noire dans la folie. Accompagné juste de sa femme comme preneur de son, il a pu, pendant trois mois, filmer ce qu’il voulait, quand il le voulait, dans les couloirs, austères et jaunes, des urgences de l’hôpital parisien, l'Hôtel-Dieu. D'abord un constat. Ce ne sont pas n'importe quelles urgences. Le professeur Grivois, chef de service de psychiatrie de l'établissement, a décidé il y a quelques années qu'il y aurait toujours un psychiatre de garde ; un psychiatre prêt à être appelé dès que le médecin constate que la situation du patient arrivant en urgence nécessite plus la présence d'un psychiatre que d'un interniste ordinaire. Une première en France. Et ce sont ces psychiatres que Depardon a suivis, s'immisçant dans le fameux «coloque singulier» qui unit le médecin et le patient.
Et voilà donc que, dans ce désert de tristesse, parfois on rit. Un rire qui ne laisse pas de trace, un simple grain de sable. « J’en ai marre, je vous le dis franchement, j’en ai plus que marre (...) » Avec son vieux visage, cette femme explose. Et elle lance ses mots comme de la vaisselle qu’elle jetterait à la tête de la vie. Une «maniaco-dépressive». Elle le sait qu’elle amuse. Elle en joue, insiste, répète les formules à l’emporte-pièce. Et on en rit, on en rit franchement. Ce n’est pas le même rire, bien sûr, que celui que va provoquer peu après un autre vieux monsieur. Retraité des assurances, propret, ordonné, prévoyant, il vient de faire une tentative de suicide inédite (...)
Le fou-rire ? Peut-être. En tout cas, une exception qui ne confirme pas la règle. Car le reste, tout le reste, est beaucoup plus lourd. Des bribes de vie, des bouts d’histoires impossibles à composer. L'image est là, et l’émotion sans issue. Depardon ne dit rien, il montre. Ainsi, cette jeune fille aux cheveux noirs, à visage d’adolescent, qui change à certains moments. Elle a une vision qui la poursuit : « Mais je ne peux pas vous le dire.» Etendue, recouverte d’une couverture jusqu'au cou. Elle a froid. « Ma mère et moi, il n’y a pas de place pour deux. Elle a tué mon père, elle l'a étouffé psychiquement.» Elle pleure, elle se noie. Et la psychiatre, douce et parfaite, tente de lui trouver un peu de place dans un monde qui en laisse si peu. «Mais je ne veux pas me faire hospitaliser, j'ai un cours de chant ! »
A quelque cinquante mètres de là, de l’autre côté de Notre-Dame, c’est la préfecture de police. C’est elle qui adresse une bonne partie des patients aux urgences de l’Hôtel-Dieu. Des toxicomanes en crise de manque, des inculpés en garde à vue et en attente de diagnostic, mais aussi des gens ramassés dans la rue. « C'est là la limite du reportage de Depardon », constate alors le professeur Grivois. « Les toxicos, les meurtriers n’ont pas voulu se laisser filmer. On ne les voit pas. » La règle était claire : n’étaient filmés que ceux qui voulaient bien. « Mis à part une seule jeune fille, les délirants, tous les psychotiques n’ont pas voulu. Depardon n’a pu filmer que ceux dont la présence ne gênait pas. »
C'est le seul point faible de cette réalité filmée qui se présente comme brute et totale. Elle ne l’est pas. Qu'importe. Dans un rire nerveux, on y découvre une folie en miettes, des gens qui passent, parlent, craquent, tombent."
- Révolution - Luce Vigo, 1/04/1988: Urgences"... la mise à nu d'une douleur que les mots n'arrivent pas à dire ou dans le récit d'un quotidien dont la banalité fait quelquefois rire les spectateurs, alors qu'il est à pleurer. Ainsi ces plans, que Depardon fait glisser l'un sur l'autre, d'un décor immuable où le même psychiatre se trouve assis en face de la même femme, racontent le temps qui passe, ce temps nécessaire pour que le mal se dévoile, s’atténue. Dans cette répétition des « séances » seuls changent les vêtements et quelquefois les paroles qui ne se répondent pas toujours. Dans les couloirs de l'Hôtel Dieu, où parvient étouffé le son des cloches de Notre-Dame, ou dans une salle de soins transformée en « parloir », la caméra et la perche de Raymond Depardon (...) enregistrent des images et des sons, sans effets inutiles, respectant la dignité de chacun, la différence de ceux-là qui sont venus, consciemment ou non, chercher du secours. Et qui l’expriment en criant, en pleurant silencieusement, en injuriant, en se répétant. Le film va à l'essentiel, même si cet essentiel semble fait de détails et n’élude pas la question de la société, qu’un chauffeur d’autobus qui a « craqué » appelle « tout cet énervement qui nous entoure... », ni des limites du service public en manque de places. « Voulez-vous qu'on téléphone à quelqu’un de votre famille ? » est une question qui revient souvent et reste sans réponse."
- Télérama - Gérard Pangon, 24/02/1988: Urgences"Henri Grivois est à la psychiatrie ce qu'Olievenstein est à la drogue : depuis des années, il dirige, à l'Hôtel-Dieu, un service d'hospitalisation ouverte où chacun peut venir se confier à un psychiatre. C'est, en quelque sorte, l'antichambre des hôpitaux psychiatriques ou de l'Infirmerie spéciale du dépôt pour ceux que la police a ramassés sur la voie publique. Et donc, le service de la dernière chance, l'ultime refuge avant l'asile.
En 1982, déjà, Raymond Depardon s'était intéressé aux problèmes de la psychiatrie en allant filmer l'hôpital de San Clemente, dans la lagune de Venise. Aujourd'hui, sa démarche est tout autre : il s'est installé pendant deux mois à l'Hôtel-Dieu en laissant sa caméra enregistrer ce qui se passait devant lui.
—Avant même que les consultants rencontrent un psychiatre,dit Raymond Depardon, je leur demandais s'ils acceptaient d'être filmés. Près de la moitié ont répondu oui.
Je suis bien concient de l'ambiguïté de ma démarche. Mais il y a un équilibre à trouver entre la nécessité de l'information et la vie privée des gens. Ces gens que l'ai filmés sont dans la société, comme nous. Ils sont donc une petite part de nous-mêmes. Et je crois qu'il n'y a pas de démocratie quand on n'est pas capable de faire face. Mais, pour éviter le piège du voyeurisme, je me suis refusé à tout mouvement de caméra ; j'ai essayé de me fondre dans le contexte. Parfois, le psychiatre sortait et les gens continuaient en s'adressant à la caméra.
Urgences est, en effet, une suite de confessions. Elles mettent mal à l'aise quand ceux qu'on voit sur l'écran apparaissent comme des pantins dérisoires et désespérés. Mais elles sont parfois émouvantes dans leur dureté. On frissonne quand une femme énumère avec un calme effarant le nombre de boîtes de comprimés qu'elle vient d'avaler ; on frémit quand une autre s'effrondre en avouant sa solitude. Et là, pour une fois, la caméra s'accroche. D'un seul coup.
—Ça s'est fait malgré moi, dit Depardon. J'étais ému, bouleversé, et j'ai eu envie de me rapprocher. Peut-être pour essayer de comprendre un peu.
Mais Urgences n'explique pas. Il n'y a pas d'avant, il n'y a pas d'après, il y a l'instant présent, brut, et ces rejetés qui défilent devant nos yeux sans qu'aucune clé ne soit jamais donnée.
Urgences n'est pas seulement un film sur les malades. C'est aussi un film sur les psychiatres, qui décortique la relation entre le patient et le psy.
Parfois, quand les yeux du malade glissent du psy vers la caméra, nous devenons nous-mêmes les confidents. Et le problème du film, de ce regard porté sur ces individus brisés, se trouve résumé là : sommes-nous capables de supporter leur détresse et de les aimer ?"
Aussi dans la sélection "Comment soigner ?"
Tout voirCe film fait partie de la liste de :
vos avis (1)
BRICE25 mars 2024