23 SEPTEMBRE 2014

Mariana Otero : "C'est un film sur le regard"

Après avoir filmé l'école (La Loi du collège), les siens (Histoire d'un secret) et le travail (Entre nos mains), Mariana Otero poursuit son passionnant travail de documentariste dans un centre pour enfants en difficulté psychique ou sociale. Elle revient sur sa longue immersion dans un centre d'accueil unique où, faisant corps avec sa caméra, elle a gagné la confiance des enfants et des adultes jusqu'à faire du cinéma un outil de thérapie.

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" Dans mes films, en général, je regarde l’autre avec la volonté et le désir de le comprendre, de le raconter avec sa logique, au plus près de son intimité et dans son rapport au monde. Je cherche donc à me défaire de l’idée que je me fais a priori de lui. Par exemple, dans Entre nos mains, je me défais de l’idée de l’ouvrière - celle que l’on m’a reproché parfois de ne pas avoir filmée - engagée, syndiquée, révoltée, pour filmer des femmes qui découvrent le politique à travers un projet de coopérative. Dans La Loi du collège, je me défais de l’idée de l’élève rebelle et cinglant pour filmer des élèves plus complexes, à la fois révoltés et soumis. A chaque fois, je me défais de mes jugements, de ce qui peut faire écran entre moi et les autres pour essayer d’entrer dans leur logique, leur perception.

(...) Alors A ciel ouvert, c’est un film sur quoi ? C’est un film sur une vision singulière du monde à travers le parcours de quelques enfants qui ont un rapport à eux-mêmes, au corps et à l’autre radicalement différent. Oui, mais c’est aussi un film sur le regard, non pas un regard en particulier, mais sur le trajet de la pensée que le regard doit prendre pour se décaler et parvenir à voir. C’est un film qui raconte le travail, le chemin du regard. Regarder c’est se défaire de ses a priori, c’est expérimenter de la pensée.

C’est toujours cela bien sûr, mais on ne le sait pas forcément. J’ai essayé de le montrer, de le faire vivre au spectateur. Dans le film, je n’ai donc pas essayé de rendre compte, dans sa globalité, de la pensée à l’œuvre au Courtil. Je n'ai pas cherché à approfondir le substrat théorique qui engendre et permet pour les intervenants ce décalage du regard. Je n’ai monté / montré de cette théorie, des réunions, de la vie intellectuelle intense de ce lieu que ce qui permettait, le temps du film, de se décaler et de voir autrement."

Mariana Otero