Angela Schanelec : "Marseille est une ville troublante dont on ne sait où elle s'arrête"
Au départ du scénario il y avait un voyage que j'avais fait à Marseille, explique la réalisatrice allemande, "et puis c’est au bord de la mer. Il y a l’espoir que la mer soit capable de consoler, de relativiser les choses..." Née en 1962 à Aalen, Angela Schanelec a tout d'abord suivi une formation de comédienne à Francfort avant de rejoindre le Thalia Theater de Hambourg puis la prestigieuse Schaubühne de Berlin. Ses deux précédents films, "Das Glück Meiner Schwester" (1995) et "Plätze in Städten" (1998), montrés dans de nombreux festivals (Rotterdam, Berlin, Cannes...), n'ont jamais été distribués en France.

Il y a sur certaines actions importantes du film des ellipses volontaires. Pourquoi ne montrez-vous pas ce qui est décisif ?Je veux montrer les conséquences. C’est ce qui m’importe. Ce que le spectateur peut se figurer, ce qui est du ressort de son imagination, je ne veux pas le lui montrer. C’est tout compte fait la base de ma réflexion : comment faire pour déclencher l’imagination du spectateur, comment lui donner envie de me suivre?
Peut-on parler à cet égard de concept ?Pour moi, c’est plutôt un langage. Je n’ai pas de concept. Je n’ai absolument aucun concept quand je commence un scénario. Il y a d’abord un personnage, peut-être deux ou trois. En ce qui concerne Marseille, il y avait l’agression à laquelle vous faites référence et que l'on ne voit pas, et puis il y avait la ville, Marseille, mon premier voyage à Marseille qui a été à la base de ce scénario.
Pourquoi Marseille justement? Qu’est-ce qui vous a intéressé?Marseille est une grande ville, une ville troublante, on ne sait pas où elle s’arrête. La lumière y est vive. Ça a quelque chose de fort et d’irrationnel. J’avais l’impression que les gens acceptaient leur vie, en y étant forcé peut-être, mais ils l’acceptent. C’est en tout cas l’effet que m’a fait cette ville, ça avait quelque chose de réjouissant. Même s’il est évident qu’on perçoit une ville étrangère différemment de celle dans laquelle on vit. C’est aussi de cela qu’il s’agit dans le film, on peut changer de regard. C’est pour ça que Sophie prend des photos, c’est pour voir, c’est pour comprendre. Et en regardant les autres, elle se comprend un peu mieux elle-même. Marseille est une ville dans laquelle tout cela me semblait possible. C’est exactement ce film-là que Marseille m’a inspiré. Et puis c’est au bord de la mer. Il y a l’espoir que la mer soit capable de consoler, de relativiser les choses.
On ne voit la mer qu’à la fin du film.Oui, on la voit à la fin, avant que la lumière du jour ne disparaisse.
Vous n’avez tourné pratiquement qu’en extérieur à Marseille, alors qu’à Berlin, ce sont les intérieurs qui dominent.C’est frappant dans le film. Ça correspond aux personnages, qui sont plus occupés à Berlin par leur travail ou les décisions qu’ils viennent de prendre. Ils ne perçoivent plus la ville. Ils ne la remettent plus en question. Ils regardent ce qui se passe en eux, pas ce qui se passe dehors. Alors que Sophie parvient durant son voyage à regarder ce qui se passe à l’extérieur. Elle voit la ville, ça la touche, ça l’émeut.Quelle est , à votre avis, la phase décisive lorsque l’on fait un film ? Y en a-t-il une, de toutes façons ?Ce qui est décisif, c’est le temps que l’on passe sur un film. L’écriture et la recherche de comédiens et de lieux de tournage, ce qui dure longtemps. Ce qui est décisif, c’est de pouvoir créer des situations, dans lesquelles tout le monde puisse faire son travail, que je puisse me faire comprendre pour donner à l’équipe et aux comédiens l’envie de s’engager, de donner leur énergie et leur imagination. Ensuite, c’est la phase du montage, mais là, tout est fixé et on ne peut plus rien sauver. En fait, tout est fixé lors de cette phase, mais on a besoin de temps, pour pouvoir assembler cela de manière juste. On a besoin de temps pour comprendre ce que l’on a fait, en fait.
Quelle est l’importance, pour vous, que les spectateurs comprennent vos films? Ou plutôt vous posez-vous des questions pour savoir comment vous faire comprendre ?Bien sûr. Je n’ai pas envie d’être seule à la fin.
Mais vos personnages sont souvent très seuls ?Oui. C’est normal. Je trouve ça particulier de ne pas être seul. Ça m’intéresse de savoir ce que les gens font pour ne pas être seuls, ce qu’ils acceptent alors de faire.
Ça veut dire que les gens ou les personnages veulent changer leur vie?Oui. “Tu dois changer de vie”, c’est à la fin d’un poème de Rilke. Mais ce qui est intéressant, c’est que c’est une phrase en réaction à un regard, un regard qui nous touche et nous concerne.