08 JUIN 2020

Auguste Escoffier - Le chef des chefs

Dans un savoureux documentaire, Olivier Julien retrace le destin exceptionnel d’Auguste Escoffier, qui a révolutionné l’ar t culinaire. Parmi ses intervenants, le chef étoilé Thierry Marx . Entretien.

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De quelle manière Auguste Escoffier a-t-il influencé votre approche de la cuisine ?

Thierry Marx : Son Guide culinaire, qui reste une référence dans le monde entier, est l’un des premiers livres que j’aie achetés en devenant commis. Puis je m’y suis replongé bien plus tard, lorsque je me suis intéressé à la cuisine moléculaire et que nombre de mes confrères m’ont attaqué pour ma méconnaissance de la cuisine classique. Son incroyable modernité m’est alors apparue. Dès 1903, il affirme: “La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules, empiriques trop souvent encore, à une méthode et à une précision qui ne laisseront rien au hasard.” Pour lui, il n’y avait pas de conflit entre tradition et innovation.

 

Quels ont été ses grands apports ?

Thierry Marx : Après avoir croisé la route de scientifiques, tels que Justus von Liebig ou Louis-Camille Maillard, il s’est ouvert à des compétences différentes des siennes. Jusque-là, par crainte de l’intoxication alimentaire, on pratiquait la surcuisson, on portait à ébullition. En sortant de l’empirisme, Escoffier a compris que ce n’était pas nécessaire. Inventeur du restaurant moderne, il a aussi revisité l’approche du dressage, à l’instar de sa célèbre pêche Melba, qu’il présentait sur un cygne sculpté en glace. Il avait le sens du décor sans pour autant verser dans l’ostentation de son époque. Pour lui, un plat devait se regarder, se méditer et se manger. Après s’être appuyé sur la cuisine du XIXe siècle, notamment celles d’Antonin Carême et de Jules Gouffé, Escoffier a créé sa propre signature. Pour devenir un grand chef, il faut arrêter d’être un suiveur.

 

Le grand chef a également été un entrepreneur hors pair...

Thierry Marx : Il avait d’abord un sens aigu du management. Tout au long de sa carrière, il n’a eu de cesse de lutter contre l’esclavagisme en cours dans le métier et de valoriser ses collaborateurs. Il voulait qu’ils soient fiers de travailler chez lui et leur offrait une tenue propre lorsqu’ils allaient se présenter chez un confrère. Pour lui, l’essentiel était de savoir faire, de savoir faire faire et de faire savoir. Une triade qui reste d’actualité à l’ère d’Instagram !

 

Propos recueillis par Laetitia Moller