03 JANVIER 2024

Belles paroles - Entretien avec Thierry de Peretti - Enquête sur un scandale d'état

Où se situe la vérité ? S’inspirant de l'affaire François Thierry, ex-patron de la lutte antidrogue, Thierry de Peretti explore les liaisons dangereuses entre crime organisé et État français, et sonde les motivations, parfois troubles, de ses protagonistes. Entretien.


Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter L’infiltré d’Emmanuel Fansten et Hubert Avoine ?

Thierry de Peretti : On m’a proposé d’adapter en série ce livre d’Hubert Avoine, ancien infiltré de l’Office central de répression du trafic, et d’Emmanuel Fansten, journaliste à Libération, respectivement Hubert Antoine et Stéphane Vilner dans le film. Hubert y racontait avoir été témoin et acteur à son corps défendant d’une certaine dérive de la lutte contre le trafic de stupéfiants en France. La rencontre de ce journaliste et de sa source, la nature de leur relation, leur obsession commune pour cette enquête constituent la matière première du film. Cela résonnait avec une question que je me posais : de quelle manière les ressorts de la fiction “travaillent” le journalisme, parfois au détriment du réel. Finalement la série ne s’est pas faite, mais le film, oui.

Hubert, Stéphane et Jacques sont trois personnages ambigus. Chacun a ses raisons et doit convaincre de sa sincérité. D’où l’importance de la parole…
Tous trois sont avant tout de grands bavards ! Cela donne des personnages qui s’inventent par le langage, bien qu’il ne faille pas prendre tout ce qu’ils racontent pour argent comptant. Au tribunal, le commissaire divisionnaire Jacques Billard, mis en cause, doit par exemple défendre son bilan et les modalités d’action – qu’il a en partie décidées lui-même – pour lutter contre le trafic. On voit que cette prise de parole d’expert, cette défense très rodée, se transforme peu à peu en tour de force de communication politique. Le journaliste Stéphane Vilner, d’une certaine manière, utilise lui aussi la rhétorique pour convaincre sa rédaction de la nécessité de son enquête. On pourrait presque dire qu’il dramatise ou spectacularise sensiblement la réalité par la parole. C’est selon moi une des limites du journalisme aujourd’hui : devoir se vendre – en raison de conditions de travail de plus en plus difficiles –, tout en se faisant déborder sans cesse par les réseaux sociaux. Ce rapport de la fiction à la réalité me trouble, mais il constitue un bon matériau pour écrire du cinéma. Il permet aussi de mettre en scène des protagonistes plus complexes dont les fonctionnements intérieurs sont ambivalents et dont les projets ne cessent de changer. J'aime quand les personnages résistent à la fiction et à ses archétypes psychologiques.

Comme dans Une vie violente, votre précédent film, vous usez beaucoup du plan-séquence. Pourquoi ?
J’ai besoin que le temps de l’action du film soit comme synchronisé avec celui du spectateur en train de le regarder, que les choses se déroulent sous ses yeux dans une impression de présent pur. Pour la séquence au tribunal, je voulais que Vincent Lindon, Julie Moulier, Pio Marmaï et Marilyne Canto soient placés dans des conditions proches de celle d’un procès de ce type [qui s’est réellement déroulé en octobre 2019, NDLR]. Les prises de vue sont souvent uniques et très longues, ce qui représente une performance pour les acteurs. On voit bien leur parole s’inventer sous nos yeux. Avec Claire Mathon (qui fait l’image du film), on cherchait un dispositif de mise en scène proche de celui qu’on avait trouvé pour les conférences de rédaction à Libération. Claire a ainsi disposé un long travelling circulaire qui fait pratiquement le tour de l’enceinte du tribunal. Cette scène n’était pas prévue initialement, car le procès en diffamation contre Emmanuel Fansten et Libération, intenté par François Thierry (le vrai Jacques Billard), s’est tenu pendant le tournage. J’ai voulu absolument l’intégrer au film.

ARTE France Cinéma coproduit votre prochain film, À son image ; pouvez-vous nous en dire un mot ?
C’est l’adaptation du dernier roman de Jérôme Ferrari : le portrait d’une jeune photographe, en Corse, de 1979 à 2003, et de son groupe d’amis, engagés dans la clandestinité politique de ces années-là. Ce film, dont je commence le montage, sortira, je l’espère, en 2024. Il est à la fois un portrait, une réflexion sur l’image et la photographie et une fable politique.

Propos recueillis par Oscar Peyramond