03 JUIN 2017

Cahiers du Cinéma - Jean-Michel Frodon: Tout est pardonné

" Tout est pardonné, qui n’a pas le moindre signe apparent de « film politique », est pourtant un rigoureux agencement de questions de liberté, au nom d’idéaux d’autant plus beaux qu’ils ne sont jamais statufiés mais toujours perçus « à la marge », comme à l’extrême bord d’un champ de vision qui ne semble focalisé que sur une « petite histoire de famille ». Il faut un art très exact et délicat de la mise en scène, de la composition de chaque plan, du rythme de déplacement des corps, de la modulation des voix, de la distance aux visages, pour faire advenir ainsi, sans jamais le dire, combien les tristes mésaventures d’un beau jeune adulte un peu mou, de sa méritante jeune femme, de leur petite fille devenue plus grande sont récits de vie (et de mort) pour chacun. Il faut, par exemple, y convoquer cette extrême simplicité de la narration, qu’on pourrait résumer d’un seul trait : filmer chaque scène comme si elle était la première et la dernière, comme si le sort du monde entier pouvait s’y jouer, comme si elle était tout le film. Tout est pardonné comporte très peu de « scènes clés » ou de climax, la « clé » est de croire que chaque moment de l’existence peut être d’une égale dignité, que tout se joue sans cesse, qu’on peut filmer un repas d’anniversaire, une promenade au jardin, une conversation au bistrot entre copines avec la même urgence, la même nécessité, la même disponibilité - y compris à l’égard de personnages qui n’apparaîtront que quelques secondes dans le film - que si le « destin » des personnages s’y jouait. Cette relation au monde, aux personnages, à l’histoire, rappelle Rozier et Eustache, sans doute, elle trouve ici une tonalité particulière, un peu plus en recul encore que du côté de Philippine ou du Père Noël. Elle laisse passer plus d’air, se donne comme encore plus accueillante à ce qui fait la texture et la couleur des instants. Plutôt que de simplicité, il aurait sans doute fallut dire « concrètement ». Le film fuit du plus loin tout ce qui ressemble à une métaphore ou à une généralité. Une feuille est une feuille, une famille est une famille, un visage est un visage..."

" Tout est pardonné, qui n’a pas le moindre signe apparent de « film politique », est pourtant un rigoureux agencement de questions de liberté, au nom d’idéaux d’autant plus beaux qu’ils ne sont jamais statufiés mais toujours perçus « à la marge », comme à l’extrême bord d’un champ de vision qui ne semble focalisé que sur une « petite histoire de famille ». Il faut un art très exact et délicat de la mise en scène, de la composition de chaque plan, du rythme de déplacement des corps, de la modulation des voix, de la distance aux visages, pour faire advenir ainsi, sans jamais le dire, combien les tristes mésaventures d’un beau jeune adulte un peu mou, de sa méritante jeune femme, de leur petite fille devenue plus grande sont récits de vie (et de mort) pour chacun.

Il faut, par exemple, y convoquer cette extrême simplicité de la narration, qu’on pourrait résumer d’un seul trait : filmer chaque scène comme si elle était la première et la dernière, comme si le sort du monde entier pouvait s’y jouer, comme si elle était tout le film. Tout est pardonné comporte très peu de « scènes clés » ou de climax, la « clé » est de croire que chaque moment de l’existence peut être d’une égale dignité, que tout se joue sans cesse, qu’on peut filmer un repas d’anniversaire, une promenade au jardin, une conversation au bistrot entre copines avec la même urgence, la même nécessité, la même disponibilité - y compris à l’égard de personnages qui n’apparaîtront que quelques secondes dans le film - que si le « destin » des personnages s’y jouait. Cette relation au monde, aux personnages, à l’histoire, rappelle Rozier et Eustache, sans doute, elle trouve ici une tonalité particulière, un peu plus en recul encore que du côté de Philippine ou du Père Noël. Elle laisse passer plus d’air, se donne comme encore plus accueillante à ce qui fait la texture et la couleur des instants. Plutôt que de simplicité, il aurait sans doute fallut dire « concrètement ». Le film fuit du plus loin tout ce qui ressemble à une métaphore ou à une généralité. Une feuille est une feuille, une famille est une famille, un visage est un visage..."