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09 SEPTEMBRE 2022

Clèves - Entretien avec Rodolphe Tissot

Réalisateur de la fiction multiprimée "La tueuse" (2010) et co-créateur de la série "Ainsi soient-ils", dont il a réalisé la majorité des épisodes au cours des trois saisons, Rodolphe Tissot adapte, toujours pour ARTE, le roman éponyme de Marie Darrieussecq.

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Tout est parti de « Clèves », le roman de Marie Darrieussecq ?

Rodolphe Tissot : Oui ! Ça a été un choc, littéraire et personnel. J’ai été profondément touché par cette écriture, très crue, mais aussi drôle et poétique. Par ailleurs j’ai beau être un garçon, j’ai retrouvé ma propre adolescence dans celle de Solange. Dans les émotions qu’elle traverse, sa solitude, ses errements. J’avais abordé le sujet de l’adolescence dans mes courts métrages, et depuis longtemps j’avais envie d’approfondir la question. En lisant Clèves, je me suis dit que c’était exactement le film que je voulais faire.

 

Qu’est-ce qui a guidé l’adaptation ?

Rodolphe Tissot : J’ai vite senti que j’avais besoin d’un regard féminin, car l’enjeu principal de l’écriture résidait dans l’incarnation de cette adolescente. J’avais beau m’y retrouver, elle recèle aussi pour moi une part d’inconnu. Ma coscénariste Marianne Pujas a beaucoup œuvré pour lui donner vie. Une tonalité propre à notre adaptation s’est définie au fil des versions, auxquelles ont aussi participé Vincent Poymiro et Fanny Burdino. Je voulais apporter de la tendresse aux personnages. Le roman est plus cruel, je crois, mais Marie Darrieussecq m’a donné une entière liberté pour que je trouve «mon» film.

 

Pourquoi avoir déplacé l’action du livre à nos jours ?

Rodolphe Tissot : Je craignais de tomber dans la nostalgie en transposant les années 1980 à l’écran (le roman s’inspire de l’adolescence de Marie Darrieussecq). De plus, même si la société a changé, je pense que les émotions adolescentes sont toujours les mêmes. Le film est contemporain, mais son atmosphère a quelque chose d’intemporel. Le fait que le village s’appelle Clèves, la présence de la montagne (autre choix d’adaptation), la musique aux accents baroques... Beaucoup d’éléments ouvrent vers un imaginaire qui est celui du conte.

 

Les scènes d’intimité représentent un enjeu important. Comment les avez-vous abordées ?

Rodolphe Tissot : Ces scènes sont cruciales bien sûr, car elles participent à la construction de l’héroïne. On a tendance aujourd’hui à montrer une sexualité des adolescents un peu idéalisée. J’avais envie d’être plus proche du réel. En ce sens, il me semblait important de mettre en scène ces moments dans la durée et sans ellipse : ce qui se passe avant le sexe, pendant et après. Éviter la complaisance et l’érotisme, pour montrer les hésitations, les malaises, la violence parfois. Je voulais être dans le réalisme mais pas dans le glauque, pour qu’on ressente le désir de vie du personnage dans l’exploration de sa sexualité. Solange, Vittoz et Arnaud devaient trouver de la grâce dans ces moments, en dépit de leur maladresse.

 

Vous avez travaillé avec une «coordinatrice d’intimité». De quoi s’agit-il exactement ?

Rodolphe Tissot : Quand on filme une scène de bagarre, un cascadeur vient vous aider à régler les mouvements des comédiens. J’estime que c’est la même chose avec une scène de sexe ! J’avais besoin d’être accompagné. Le poste de coordinateur d’intimité est assez répandu dans les pays anglo-saxons mais il n’existe pas encore vraiment en France. Maryam Muradian, qui est coach pour les comédiens enfants et adolescents, l’a endossé de manière idéale. En plus d’un travail de coaching classique avec Louisiane Gouverneur qui interprète Solange, elle a préparé les acteurs aux scènes d’intimité à travers des exercices basés sur la danse, l’appréhension du corps de l’autre. Ensuite, nous avons travaillé sur la chorégraphie précise de ces scènes : chaque déplacement, chaque geste était répété, discuté et validé par les comédiens. Cela facilite énormément le tournage.

 

Comment avez-vous choisi Louisiane Gouverneur ?

Rodolphe Tissot : J’aime démarrer un casting sans idée préconçue, en faisant confiance à mon instinct. J’attends de voir le personnage s’incarner. J’ai donc vu beaucoup de «Solange» potentielles, très différentes les unes des autres. Louisiane Gouverneur, qui avait 19 ans à l’époque, nous a paru avoir les armes qu’il fallait pour aborder le rôle. Mais surtout elle était lumineuse, capable de jouer sur plusieurs registres, et elle dégageait une confiance qui résonnait avec le désir de Solange de devenir comédienne. Avec la directrice de casting Julie Allione, nous avons fait beaucoup d’essais, jusqu’à explorer des scènes difficiles, et Louisiane s’est imposée.

 

Pour vous, « Clèves » est-il aussi un film sur le consentement ?

Rodolphe Tissot : Le film comme le roman montrent le rapport de domination des hommes sur les femmes. Qu’est-ce que c’est, être une jeune fille de 15 ans qui se transforme, passe du statut d’enfant à celui d’objet sexuel ? Solange est maltraitée, mais la singularité de son apprentissage est qu’elle n’est pas qu’une victime. Elle prend conscience du pouvoir qu’elle peut exercer sur les hommes, et elle maltraite aussi parfois. Aborder cela demande de la nuance. Le traitement du personnage de Vittoz, que joue Vincent Deniard avec beaucoup de finesse, répond à cette même volonté d’explorer les zones grises. Mais Solange est un personnage, pas un exemple ! Un personnage qui s’affirme et qui s’émancipe. En cela, il est pour moi très contemporain.