28 FÉVRIER 2011

Dagur Kàri : "Mes scénarios ressemblent à des BD..."

Une tragédie traversée d'éléments comiques ou une comédie qui s'avère tragique ? Les projets du jeune réalisateur islandais commencent toujours, constate-t-il, par des situations etranges et drôles pour donner à la fin des films profonds et graves...

Avez-vous toujours pensé revenir en Islande après votre école de cinéma au Danemark ?Dagur Kàri : En 1995, je suis entré à la Danish Film School. J'ai obtenu mon diplôme en 1999 avec un moyen métrage de 40 minutes, Lost Week-end, tourné au Danemark. Je savais depuis longtemps que mes films ne se passeraient pas for­cément en Islande, mais Noi Albinoi est pour moi un très vieux pro­jet indissociable de ce pays. J'ai toujours voulu tourner mon premier long métrage là-bas pour affirmer mon identité.

D'où vient l'idée du film ?Depuis des années, je porte en moi le personnage de Noi Albinoi. Il est même antérieur à mon envie de faire des films. À un moment, j'ai d'ailleurs pensé en faire un dessin animé ou une bande dessi­née. Année après année, j'ai rassemblé toutes sortes d'idées autour de Noi et quand je suis sorti de mon école de cinéma, les idées ont ressurgi pour prendre la forme d'un scénario.

Pourquoi avoir choisi ce lieu de tournage ?À l'origine, le film n'était pas censé se passer dans un village isolé. Je pensais plutôt à Reykjavik. Mais finalement, je me suis dit que Reykjavik était trop ancré dans le réel. Je voulais créer un univers qui n'existait pas, tout en restant plausible. Pour moi, les fjords de l'ouest étaient plus intéressants de par leur atmosphè­re inquiétante et leur beauté. De plus, il nous fallait impérativement de la neige et c'était l'en­droit où l'on était le plus susceptible d'en trouver. En hiver, ce village peut être complètement coupé du reste du monde en rai- son de conditions climatiques extrêmes.

Le casting a-t-il été difficile ?L'Islande est un petit pays où tout le monde se connait. Si vous restez assez longtemps dans un bar de Reykjavik, vous pourrez y croiser toute votre équipe et vos comédiens. Pour le film, je ne cherchais pas de stars. La plupart des comédiens islandais n'ont pas fait de cinéma et ne sont pas célèbres. J'ai donc avant tout cherché le casting idéal pour l'histoire et fait appel aussi bien à des comédiens professionnels que non professionnels. La femme qui joue la grand-mère, Lina, distribue le courrier dans mon quartier. J'ai rencontré la jeune fille qui joue Iris dans un restau­rant végétarien. Beaucoup de personnages sont interprétés par des amis, comme le psychologue par exemple. En ce qui concer­ne Noi, il était clair pour moi qu'il devait avoir un air très diffé­rent, presque étrange. Et comme je ne connais pas beaucoup de bons acteurs islandais albinos, Tomas Lemarquis s'est imposé. Il est non seulement talentueux et motivé, mais il correspond phy­siquement à ce que je cherchais.

Avez-vous composé la musique de votre film ?Oui, avec mon ami Orri du groupe Slowblow que nous avons créé ensemble. Il y a peu de choses dans la vie que j'aime faire plus que la musique. La musique, c'est une bulle d'air dans nos vies professionnelles et nous refusons que l'industrie du disque vienne casser notre plaisir. C'est pour ça que nous essayons de rester en marge du système. Nous avons quand même sorti deux albums auto-produits et nous travaillons sur le troisième.

Le thème du film est-il typiquement islandais ?Je n'avais pas l'intention de faire un film typiquement islandais. J'aime situer mes films dans des microcosmes isolés, confinés, loin du monde tel qu'on le connaît sans pour autant être surréalistes. Une sorte d'entre-deux. J'espère simplement avoir réalisé une version très personnelle d'une histoi­re racontée mille fois, celle d'un jeune rebelle qui n'est chez lui nulle part et tente sans cesse de fuir. C'est un vieux cliché, mais je voulais proposer ma version de ce genre d'histoire.

Des gens qui souhaitent s'échapper ou partir, c'est un phénomène qui vous semble propre à l'Islande ? Est-ce que l'environnement favorise ce genre d'histoire ?La plupart des gens quittent l'Islande à un moment ou à un autre de leur vie. C'est en quelque sorte nécessaire quand vous vivez sur une île isolée. Mais presque tous reviennent. Cela dit, dans cette histoire, la réalité islandaise m'importait peu. Je voulais que le film ait son univers propre.

Quelles sont vos influences en tant que metteur en scène ?Tout sauf les films ! J'adore faire des films, mais depuis que c'est devenu mon métier, être spectateur, c'est un peu comme faire des exercices d'algèbre. En tout cas en ce moment, je suis accro aux sitcoms. Et pour ce qui est de la mise en scène, j'apprends énormément en regardant Les Simpson.

Affectionnez-vous particulièrement les personnages de loser comme le père de Noi ou Noi lui-même ? Je trouve les héros extrêmement ennuyeux parce qu'ils réussissent tout, qu'ils peuvent tout faire. Ce qui m'intéresse, c'est les gens qui n'arrivent pas à communiquer et qui ne savent pas comment s'en sortir. C'est comme dans les sitcoms où les per­sonnages ont toujours les mêmes problèmes d'un épisode à l'autre. Ils n'apprennent jamais rien de la vie et ça continue comme ça pendant dix ans ! S'ils étaient des héros, un épisode leur suffirait pour tout résoudre et aller de l'avant.

Peut-il y avoir une interprétation biblique ou métaphysique de votre film ?Travailler sur les mythes de façon subconsciente m'intéresse beaucoup. Je veux que les spectateurs ressentent avec leurs tripes, réagissent de façon émotionnelle à quelque chose de mythique et d'universel, mais si en regardant le film, ils pren­nent conscience de ce qu'on leur raconte, alors c'est raté. Rien ne m'intéresse moins que les his­toires aux références bibliques évidentes. Si dans un film, un personnage s'appelle Ave et croque une pomme, je m'enfuis de la salle. Ça doit rester subtil.

Sans dévoiler la fin du film, peut-on dire que l'événement final est causé par Noi ? Peut-on y voir une sorte de punition ?La fin est censée être à double sens, à savoir que la pire chose possible peut aussi amener a un nouveau départ. Vous avez tout perdu, vous êtes désespéré, mais en même temps, vous êtes libéré. Selon moi, c'était la seule façon de s'échapper pour Noi, mais je refuse de creuser davantage. Je veux laisser la fin ouverte à toutes interprétations et que les spectateurs se fassent leur propre opinion.

Il y a de nombreux éléments comiques et absurdes à l'intérieur de cette histoire qu'on pourrait qualifier de tragique... Pour moi, c'est l'inverse : il y a des éléments tragiques à l'intérieur d'une histoire qu'on pourrait qualifier de comique. L'humour est toujours mon point de départ et j'évite de construire une intrigue. Mais j'aime que le film ait une conclusion. C'est ce qui en fait un film, plutôt qu'un pilote de sitcom ! La structure est la même dans Lost Weekend et Noi Albinoi, avec des situations étranges et drôles et une fin plus grave. J'utilise toujours cette structure et il semble que mes projets futurs ne font pas exception à la règle. Ce qui me semble étrange, c'est que mes scénarios ressemblent toujours à de la BD alors que le film terminé est beaucoup plus sérieux que ce à quoi les gens s'attendaient, moi y compris. C'est une des choses que je ne peux contrôler.