28 FÉVRIER 2011

Djamshed Usmonov : "On négocie sa vie... et sa place au paradis"

Tourné dans son village natal du Tadjikistan, interprété par ses habitants et les parents du réalisateur, sous la lumière de l'hiver, quand "la vie y est plus rude et le désarroi des hommes plus visible", L'Ange de l'épaule droite est une fable poétique qui raconte le "ici" tout en étant habitée par l'au-delà.

A quoi fait référence le titre : "L'ange de l'épaule droite" ?Djamshed Usmonov : Selon une vieille légende de l'islam, chaque homme a sur ses épaules deux anges invisibles. L'ange de l'épaule droite consigne les bonnes actions, tandis que l'ange de l'épaule gauche note les mauvaises. Au jour du Jugement dernier, les bonnes et les mauvaises actions de l'homme sont pesées dans la balance de la justice. L'homme est alors envoyé au paradis ou en enfer. On raconte cette histoire aux enfants pour qu'ils apprennent la notion du bien et du mal. Cette histoire a profondément marquée mon enfance. Ce film est la première partie d'un diptyque, il sera suivi par "L'ange de l'épaule gauche".

Une autre histoire se déroulant au Xllle siècle, s'inscrit aussi dans ce récit : La vie du poète Attar...Avant d'être poète, Attar, menait la vie tranquille et aisée d'un apothicaire à Nichapour. Un jour, alors qu'il avait refusé l'aumône à un derviche, celui-ci lui montra que, bien que miséreux, sa richesse était incommensurable. L'apothicaire espérait-il emporter ses biens dans l'autre mondae? Alors que lui, derviche, possédait un bien plus précieux, il était maître de sa vie et de sa mort : ceci étant dit, le derviche s'étendit par terre, appela Dieu et mourut. Bouleversé par ce miracle, Attar renonça à sa vie passée pour devenir un poète errant. Ces deux histoires forment le socle et le cœur du film.

Vous avez tourné tout le film en hiver.Oui, la vie y est plus rude et le désarroi des hommes plus visible. Et puis j'aime cette lumière froide dénuée des couleurs de l'été où les arbres sont gorgés de fruits mûrs, où les fleurs éclatent à la lumière. J'avais envie de me concentrer sur mes personnages et que le décor soit le plus humble possible.

Parlez-nous d'Hamro, le personnage principal.Le scénario reflète les problèmes de la société tadjik actuelle, confrontée à des bouleversements sociaux-politiques profonds et à une guerre civile de sept ans. Le personnage principal, Hamro, est la résultante de ces événements, il est cruel. À ses yeux, rien n'est sacré, et, pour satisfaire ses désirs, il sacrifierait n'importe qui. Cependant cet homme cruel et perdu, éprouve l'amour désintéressé de sa mère, Halima. Hamro est interprété par mon propre frère, c'est un personnage complexe et sensible. Halima, elle, est une femme aux soucis et aux désirs simples. Au fond de son âme reposent des lois et des valeurs ancestrales. Elle est porteuse de la sagesse des siècles passés, des vieilles croyances et légendes, de la foi naïve du bien et du mal et des miracles. Pour sauver son fils, elle se sacrifie et meurt miraculeusement. Comme si elle était partie, non pas pour l'autre monde, mais pour rendre visite à des amis dans un village voisin.

Le village où se situe le film est-il réel ou imaginaire ?C'est le village du Tadjikistan où je suis né et où j'ai tourné trois films. Les personnages en sont ses habitants. J'aime diriger des acteurs non professionnels, j'aime la naïveté et la spontanéité de leur jeu. Dans ce film, ma mère interprète Halima, mon frère est Hamro, mon père joue le rôle du docteur, le maire est un oncle, le petit garçon le fils d'un cousin. Cela dit, le village – qui s'appelle Asht –, bien que réel, représente pour moi un monde imaginaire tout comme Macondo pour Gabriel Garcia Marquez ou Yoknapatawpha pour William Faullkner.

Avez-vous le sentiment d'être empreint de nostalgie ?J'ai dédié mon premier long-métrage Le vol de l'abeille à Satyajit Ray. Lors du montage de L'ange de l'épaule droite, je me suis souvenu d'un poème écrit par Rabindranath Tagore pour Satyajit Ray lorsqu'il avait 6 ans. : "J'ai arpenté les routes, les hautes montagnes et les rivières / Ma route fut souvent argentée / J'ai vu tout ce que l'œil humain peut voir / J'ai connu le monde. / Mais j'avais oublié le brin d'herbe près de ma maison. Posée sur l'herbe - une goutte de rosée. / Et l'univers qui me regardait. " Lorsque Hamro rentre au village, il est rattrapé par son passé. Et qui parle de passé ouvre la brèche de la nostalgie. Je crois que j'oscille entre le nostalgique réaliste et le réaliste nostalgique.

Négocier semble un thème central, dans votre film comme dans la vie ?Dans mon film ce principe est sacralisé. Sur terre comme au ciel, la négociation fait loi. On négocie sa vie, on marchande sa propre mort et sa place au paradis.