29 SEPTEMBRE 2020

Dormir à tout prix ! Morphée aux Enfers

Comment combattre les troubles du sommeil ? Un documentaire passionnant recense remèdes novateurs et solutions alternatives en compagnie de plusieurs scientifiques. Entretien avec l’un d’eux , le chercheur Emmanuel Mignot*.

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Quels sont les facteurs qui ont contribué au dérèglement croissant du sommeil ?

Emmanuel Mignot : Le premier coup de bélier a été l’apparition de l’éclairage artificiel. Il a permis de s’exposer à la lumière à n’importe quelle heure de la nuit, ce qui est contraire à notre physiologie. Le deuxième facteur concerne nos modes de vie générateurs d’anxiété et d’excitation, souvent en l’absence d’exercice physique. Nous sommes désormais constamment connectés aux autres, via notamment les smartphones. Les moments pour se relaxer, se dissocier du monde apparaissent de plus en plus rares.

 

Près de 600 millions de personnes à travers le monde souffrent de troubles du sommeil, comme l’insomnie...

Emmanuel Mignot : Lorsque l’on s’inquiète de ne pas dormir assez ou de ne pas bien dormir, cela risque de créer de l’insomnie. Pour dormir à tout prix, les insomniaques ont recours aux somnifères avec des effets délétères, notamment parce que certaines de ces molécules entraînent une dépendance. En réalité, l’insomnie est une pathologie davantage comportementale que physiologique et se traite désormais le plus souvent sans médicament. Il s’agit de réapprendre à dormir en se privant paradoxalement de sommeil pour retrouver une dette en la matière.

 

Quelles sont les principales pathologies liées au manque de sommeil ?

Emmanuel Mignot : Tout d’abord, la fatigue augmente le risque d’accident, par exemple dans la conduite automobile et la vie professionnelle. Ensuite, le manque de sommeil peut engendrer des troubles psychologiques, comme l’irascibilité qui peut avoir des conséquences relationnelles ou professionnelles graves. Enfin, les scientifiques ont récemment montré qu’il crée des troubles hormonaux et métaboliques favorisant les changements d’appétit, la prise de poids, voire l’obésité.

 

En quoi vos recherches sur la narcolepsie, un trouble de l’éveil, ont-elles favorisé de nouveaux traitements pour des pathologies du sommeil ?

Emmanuel Mignot : À Stanford, nous avons découvert que les narcoleptiques souffrent d’une maladie auto-immune qui détruit dans le cerveau les neurones produisant une molécule appelée orexine ou hypocrétine. Cela a permis de concevoir des somnifères d’un genre nouveau, capables de la bloquer et d’endormir les patients sans anesthésier totalement le cerveau comme le font les somnifères classiques. De plus, on parvient désormais à soigner les narcoleptiques avec l’effet inverse, en stimulant la molécule manquante. Il s’agit d’une véritable révolution dans le domaine thérapeutique.

 

Propos recueillis par Laure Naimski

 

*Spécialiste de la narcolepsie et directeur du Stanford Center for Sleep Sciences and Medicine en Californie.