05 OCTOBRE 2020

Écrans à surveiller

En enquêtant à travers le monde sur l’usage croissant des écrans chez les jeunes, le journaliste d’investigation Raphaël Hitier signe un documentaire édifiant étayé par des analyses de spécialistes, dont le psychiatre Serge Tisseron *. Entretien.

Media

Quel est, selon vous, le principal enjeu lié à l’utilisation croissante des écrans chez les enfants et les adolescents ?

Serge Tisseron : Plutôt que de s’attacher uniquement au temps passé derrière les écrans, il faut comprendre la nature des usages. Les outils numériques peuvent en effet servir à des activités créatives ou socialisantes, mais aussi à des tâches répétitives, compulsives et donc appauvrissantes et destructrices de lien. Ils peuvent également éloigner d’activités essentielles, comme le sport. On doit enfin être conscient de l’évolution très rapide des usages, qui va de pair avec celle des technologies. Le développement de la réalité virtuelle, par exemple, va bouleverser la donne en créant notamment des formes d’apprentissage facilité et augmenté.

 

Que pensez-vous de l’utilisation des écrans par les tout-petits ?

Serge Tisseron : En 2008, j’ai lancé le slogan : “Pas d’écran avant 3 ans.” Je n’ai pas changé d’avis. Avant cet âge, le cerveau d’un enfant se construit, et il doit développer énormément de compétences, comme apprendre à parler, à se mouvoir... Tout doit être centré sur la relation à l’autre, qui peut aussi passer par l’utilisation d’un écran partagé, mais cela doit avoir lieu sur des périodes courtes et être accompagné. Il est primordial de ne pas laisser un petit enfant seul face à un écran, car cela risque de le couper des apprentissages fondamentaux. Par la suite, il faut continuer d’accompagner les plus jeunes pour les aider à donner du sens à ce qu’ils regardent.

 

Le documentaire pose la question de la nocivité des écrans...

Serge Tisseron : Elle n’est pas démontrée. Mais toutes les monoactivités intensives induisent des pathologies, par exemple, chez certains violonistes ou footballeurs professionnels. Si l’usage des écrans n’est pas forcément nuisible en soi, il le devient à haute dose.

 

Qu’en est-il du phénomène d’addiction mis en lumière dans le documentaire ?

Serge Tisseron : Le mot peut être discuté, mais ce qui est certain, c’est que dans les jeux vidéo, des algorithmes cachés échappent à la conscience des joueurs. Ils sont là pour les inciter à rester connectés toujours plus longtemps, dans le but de collecter plus d’informations personnelles et plus d’argent, tout en donnant une illusion de liberté vis-à-vis de l’écran.

 

Propos recueillis par Laure Naimski

 

* Auteur entre autres de "L’emprise insidieuse des machines parlantes" (Les Liens qui libèrent, 2020).