07 DÉCEMBRE 2020

En quête de luxe

Pourquoi les industries du luxe se sont-elles développées en France ? Au terme d’une enquête de la journaliste et plasticienne Laurence Picot , un documentaire trois étoiles retrace l’histoire mouvementée de cet emblème national . Entretien.

Media

La France a-t-elle toujours été la championne incontestée du luxe ?

Laurence Picot : Non, même si cette idée reçue perdure depuis le début du XIXe et l’ère industrielle qui a suivi la Révolution. Or jusqu’au XVIIe siècle, le luxe est l’apanage des pays étrangers : les miroirs proviennent de Venise, les tissus de Flandre, les porcelaines de Chine... Le tournant s’opère sous le règne de Louis XIV. À l’époque, l’économie française repose sur l’agriculture, alors malmenée par un dérèglement climatique. Le ministre Colbert élabore donc une stratégie visant à produire en quantité des objets d’exception dédiés à l’exportation, et non plus seulement à l’élite française.

 

Il va user à cette fin de méthodes peu scrupuleuses…

Laurence Picot : L’intention de Colbert est de copier les savoir-faire étrangers le plus rapidement possible. Pour cela, il aura recours à des opérations d’espionnage industriel et de débauchage d’artisans. Il réussira même à exfiltrer des ouvriers de la verrerie vénitienne de Murano, pourtant très protégée. Les secrets de fabrication des glaces sont alors convoités – un miroir de grande taille pouvait valoir le prix d’un château !

 

Comment la haute couture, autre symbole du luxe, s’est-elle développée en France ?

Laurence Picot : À mes yeux, la première styliste est Rose Bertin, qui concevait les tenues de la reine Marie-Antoinette à une époque où les femmes n’avaient pas le droit d’exercer la profession de tailleur. Très talentueuse, cette pionnière va imposer son style et esquisser les premiers pas de la mode française. Si les couturiers sont aujourd’hui reconnus, voire starifiés, c’est grâce à elle.

 

Vous avez entrepris de passer au scanner certains objets anciens. Cette démarche a-t-elle étoffé votre enquête ?

Laurence Picot : Le projet expérimental LuxInside a débuté en 2009 avec des pièces contemporaines. Dix ans plus tard, j’ai pu explorer de l’intérieur quatre symboles des industries du luxe françaises des XVIIe et XVIIIe siècles. Parmi eux, un médaillon de Louis XIV conçu grâce au verre coulé, une technique alors inédite qui permit à la France de dominer le marché des glaces. Autre objet surprenant : un éventail en papier, corne et soie peinte. Contre toute attente, des dessins sont apparus car les peintures, issues des progrès de la chimie, contenaient des métaux lourds. Là encore, le scanner a permis de déceler des innovations qui n’étaient pas visibles à l’œil nu.

 

 

Propos recueillis par Guillemette Hervé