14 NOVEMBRE 2023

Entretien avec Gérald Hustache-Mathieu - Polar Park

Après des débuts de court-métragiste couronnés par un César, Gérald Hustache-Mathieu a réalisé deux films pour le cinéma, "Avril" (2005) et "Poupoupidou" (2011). Dans "Polar Park", il continue de déployer la singularité de son univers sans oublier de divertir le spectateur.

Mouthe, village du Doubs réputé “le plus froid de France”, est un décor qui revient souvent dans vos films. Qu’est-ce qui vous attire dans ce lieu ?

Gérald Hustache-Mathieu : À l’origine, c’est un reportage qui m’avait donné l’envie de tourner dans ce village si loin de tout, en forme de cul-de-sac collé à la frontière suisse… Les forêts de sapins mystérieuses, l’accent singulier des habitants, les grands espaces, créent une atmosphère qui tient à la fois de la ruralité et du mythe. J’y ai reconnu une version préservée de l’endroit où j’ai grandi, près de Grenoble. C’est devenu ma bulle, ma «boule à neige», mon pays de fiction.

 

Pourquoi avoir transposé dans une série, l’univers et les personnages de votre film « Poupoupidou » ?

Gérald Hustache-Mathieu : Au départ, j’avais imaginé « Poupoupidou » comme une série. J’ai toujours aimé les récits feuilletonesques. En plus de créer du désir entre deux épisodes, ils rentrent dans notre salon : on a donc un rapport plus intime avec eux. Mais à l’époque, en France, on n’en faisait pas de ce genre-là. Puis j’ai eu des difficultés à monter des films au cinéma à cause de leur singularité. C’est pourtant elle qui est devenue un atout dans l’univers sursaturé des séries, où l’originalité est une prime pour se démarquer.

 

Pour vous, « Polar Park » est une comédie ou un polar ?

Gérald Hustache-Mathieu : Les deux. Comme si dans Seven, Morgan Freeman avait M. Hulot comme partenaire. On parlera de « comédie policière », même si cela relève en fait d’un exercice d’équilibre plus délicat. Avec Sonia Moyersoen, directrice de collection, nous avons mis beaucoup de soin à bâtir une intrigue qui tienne le spectateur en haleine, en veillant à ce que l’humour ne nuise jamais à la tension du récit. Le ton décalé fait son entrée par un glissement progressif vers un univers plus baroque. Les titres des polars écrits par David Rousseau illustrent ce ton hybride : « La Revanche du papier à bulles », « Orange Balsamique », « Apocalypse plus tard » … une distance malicieuse teintée de poésie. Car si la comédie me permet de me moquer des clichés du genre et de lutter contre l’esprit de sérieux, elle n’empêche pas la profondeur. Au contraire, elle puise sa source dans des minuscules détails, mais ce sont eux qui au final, font nos vies.

 

Revenons sur l’équilibre dont vous parlez. Comment le construisez-vous ?

Gérald Hustache-Mathieu : C’est un art orchestral et j’avais toute une équipe pour œuvrer avec moi à cette alchimie. L’image de Pierre Cottereau y contribue pour une grande part, elle ancre le film dans les codes esthétiques du thriller. La musique de Stéphane Lopez détermine tout autant l’identité de la série. En jouant la partition des grands espaces et de l’émotion et jamais celle de la comédie, elle nous plonge dans le romanesque. Ce sont des clefs de voûte qui font qu’en dépit de sa liberté de ton, la série tient debout. Tous les acteurs ont fait preuve de la même vigilance.

 

Jean-Paul Rouve était une évidence pour le rôle de David Rousseau ?

Gérald Hustache-Mathieu : Je l’avais choisi après avoir vu une interview où j’avais perçu l’homme derrière le comédien. À la projection de « Poupoupidou », sa mère m’avait dit qu’elle y avait retrouvé son fils «tel qu’elle le connaissait»… Son art de manier tous les registres de l’humour et sa pudeur qu’il habille de nonchalance, en faisaient l’acteur idéal. Je pourrais en dire autant de Guillaume Gouix, lui aussi un orfèvre de précision. Leur complicité dans la vie apporte à leur numéro de duettistes une vérité quasi documentaire.

 

La manière dont vous mettez en scène le village évoque de grandes références comme « Fargo » ou « Twin Peaks »…

Gérald Hustache-Mathieu : Ces œuvres, comme d’autres faisant partie aussi de la culture pop(ulaire), nourrissent mon imaginaire autant que ma propre vie. Ces influences sont donc pour moi des ingrédients parmi d’autres. Je les utilise comme un jardinier avec des fleurs qui tente des greffes et des boutures pour tenter de créer une forme hybride, nouvelle.

 

« Polar Park » est aussi un éloge de l’irrationnel et de l’imaginaire.

Gérald Hustache-Mathieu : C’est d’ailleurs ce qui se joue entre le gendarme et l’écrivain : l’opposition entre la rationalité et les forces de l’inconscient. Le mysticisme est un univers qui m’intéresse. S’il y a toujours des religieux dans mes histoires, un écrivain un peu médium et même un chaman dans Polar Park, c’est qu’ils ont à voir avec le métier de scénariste : la vie en ermite, et la croyance, celle que j’ai pour la fiction.

 

Quel thème est pour vous au cœur de la série ?

Gérald Hustache-Mathieu : L’échec, le complexe d’infériorité doublé d’un complexe social : tous mes films ne parlent que de ça ! Je partage les failles de mes personnages : Rousseau se rêve en James Ellroy, mais il est en panne d’inspiration et en pleine crise personnelle. Louvetot se projette en agent du FBI, en plus de ne pas assumer pleinement une part de son identité. Niki n’a pas fait une carrière de chanteuse. La prof de français incarnée par India Hair trimballe ses espoirs déçus de romancière... Le moment où elle avoue à Rousseau : « Je n’ai pas votre talent » trouve en moi un écho très intime. Alors que la seule voie possible est de tenter coûte que coûte d’appliquer ce qu’écrit Dino Buzzati dans « En ce moment précis » : « De quoi as-tu peur, imbécile ? Des gens qui sont en train de te regarder ? ou de la postérité, par hasard ? Il suffirait d’un rien, réussir à être soi-même, avec toutes tes faiblesses inhérentes, mais authentique, indiscutable.»

 

Propos recueillis par Jonathan Lennuyeux-Comnène