28 FÉVRIER 2011

Guillaume Laurant : "Créer du suspense..."

"...Et trouver une issue forte". Tel est le double enjeu auquel s'est confronté le scénariste de "Je m'appelle Elisabeth" pour traduire à l'écran le roman d'Anne Wiazemsky.

À la lecture du roman d’Anne Wiazemsky, quels étaient, selon vous, les clés d’une adaptation au cinéma ?

Guillaume Laurant : Betty vit une aventure qui la métamorphose. À la fin, elle n’est plus Betty, elle a grandi, elle dit : “Appelez-moi Elisabeth”. Elle a vécu quelque chose de fort, superbement décrit par Anne Wiazemsky. Mais l’enjeu dramatique reste en creux dans son livre. Dès ma première conversation avec Jean-Pierre Améris, nous sommes tombés d’accord : il fallait créer un peu de suspense, et que l’histoire trouve une issue forte. Ce sera la fugue finale de Betty et d’Yvon, qui n’est pas dans le roman. Le cinéma n’a pas les mêmes impératifs que le roman : dans un film, un élément accessoire à l’histoire peut prendre une importance démesurée du simple fait d’être concrètement montré. Ici, il fallait élaguer afin de renforcer la structure dramatique. En particulier quand il s’agit de montrer ce qui pousse Betty à cacher le jeune homme échappé de l’asile.

Qu’est-ce qui la pousse à prendre ce risque-là ?

Un fort sentiment d’abandon. Sa soeur, avec qui elle a une relation presque fusionnelle, part en internat. Seule avec ses parents, la petite fille découvre qu’ils sont en conflit puis qu’ils risquent de se séparer. Elle passe brutalement d’une existence heureuse à une remise en cause de la cellule familiale qui se désagrège sous ses yeux. Son père lui refuse même d’adopter un chien parce que “ce n’est pas le moment ”, en clair, parce que l’avenir est très incertain. La seule personne dont elle se sente proche, c’est Rose : elle est bienveillante, mais il est difficile de tisser des liens vraiment normaux avec elle. Betty est déstabilisée, et elle éprouve une peur diffuse de ce qui peut arriver.

L’irruption du “fou” dans sa vie va tout changer ?

Cette présence soudaine pourrait ajouter à sa peur. Au contraire, elle va l’apprivoiser. Elle va reconstruire à sa manière une nouvelle cellule intime. Elle cache le garçon, c’est son secret. La cabane est la maison qu’elle aménage pour lui, mais aussi pour elle, comme un lieu protégé dans un environnement qui lui est de plus en plus hostile. Avec Yvon, elle se réinvente une histoire, sur un mode presque ludique mais dans laquelle, comme tous les enfants qui jouent, elle s’investit très sérieusement.

Betty se retrouve ainsi entre deux mondes : celui de la réalité, et celui qu’elle se crée…

Oui, et d’ailleurs, en écrivant, j’avais une référence, Le Messager de Losey, où un jeune garçon est l’intermédiaire entre deux mondes. De la même manière, Betty passe d’un univers à l’autre, du réel à l’imaginaire, des gens normaux aux “fous”, de ce qui existe en plein jour à ce qu’elle cache…

Jean-Pierre Améris explique qu’il a fait ce film en pensant à son enfance. Et vous ?

Nous étions sur une même longueur d’onde : l’enfance n’a pas été une période banale de ma vie. Mon premier roman, Les Années porte-fenêtre, racontait l’histoire d’un garçon de 0 à 25 ans. Comme un premier roman est toujours d’inspiration plus ou moins autobiographique, il y a beaucoup de moi dedans, de ce que j’étais autour de 10 ans : un garçon très solitaire, un peu rêveur, qui se faisait assez facilement des films, et préférait le mystère aux choses trop concrètes, trop bien expliquées. C’est la vision très subjective d’un enfant sur le monde des adultes, et elle n’a pas grand chose à voir avec la réalité, ce qui le conduit à adopter un comportement déroutant… On en a longuement parlé avec Jean-Pierre Améris, qui avait aimé le roman, parce qu’il touchait à des choses qu’il avait profondément ressenties étant enfant.

Vous êtes par ailleurs le scénariste de “Amélie Poulain”. Jean-Pierre Améris souhaitait que son héroïne ait un côté débrouillard. Sans doute a-t-il pensé aux séquences de l’enfance d’Amélie…

Les nuages en forme d’animaux, des choses comme ça, qui appartiennent à l’imaginaire de l’enfance ? On en trouve sans doute une trace furtive dans ce film, mais ce n’est évidemment pas délibéré. Il y a une ressemblance de fond dans la mesure où ce sont deux petites filles qui à un moment choisissent de vivre dans un monde qui correspond à leur vision subjective, plutôt que dans la réalité… Sur la forme elles sont très différentes…

Vous avez introduit pas mal d’anecdotes ou de détails. S’agit-il de souvenirs personnels précis ?

Il y a des moments de pure imagination. Mais chacun de nous avait ses souvenirs. Moi, j’ai vécu ce qui est devenu la scène d’ouverture du film. J’avais 12 ans. Avec un copain, on se promenait en vélo à la campagne et on a vu une espèce de manoir en ruines. On est entré dans le jardin en friche, on a fait le tour de la maison en cherchant comment y pénétrer, et quand on est revenus à notre point de départ, la porte qu’on avait vue fermée était grande ouverte. Le choc !… Nous sommes partis en courant puis on a pédalé comme des malades. J’ai le souvenir d’une frayeur incroyable. 

La scène a-t-elle été reprise dans le film telle que vous l’avez vécue ?

Plus ou moins. Pour l’ensemble du film, nous sommes partis d’une approche très réaliste. Moi, dans mon boulot de constructeur d’histoires, j’aime raconter les scènes aussi concrètement que possible. Jean-Pierre, ensuite, a souhaité, par sa mise en scène, tirer le film vers le conte. Cela ajoute une ambigüité intéressante…

Comment avez-vous abordé la question de la folie ?

La folie m’intéresse beaucoup. J’ai un projet de film que j’écris actuellement avec Sandrine (Bonnaire, sa femme) et que je réaliserai. Il tourne autour des comportements obsessionnels et d’une interrogation passionnante : qu’est-ce qui fait qu’un certain comportement met un individu hors jeu de la société, alors qu’un comportement à peu près identique, également névrotique, comme l’arrivisme, est, à l’inverse, parfaitement intégré au jeu social ? L’un passe, l’autre pas. Pourquoi ? 

L’action de “Je m’appelle Elisabeth” se situe dans les années soixante. Betty aurait-elle le même comportement aujourd’hui ?

Oui, à condition qu’elle n’ait pas la télévision. L’imagination est incompatible avec les quatre heures de programmes ingurgitées quotidiennement par les enfants d’aujourd’hui. Cette immense connaissance superficielle du monde tue le mystère. Et c’est peut-être ça une enfance malheureuse : une enfance sans mystère…