21 JUIN 2022

Histoire populaire des impôts - “Les États-nations sont face à une mondialisation qui les dépossède”

Depuis la vague néolibérale des années Thatcher-Reagan, les États ont peu à peu perdu la souveraineté de leur fiscalité. Coauteur de ce documentaire, l’historien Gérard Noiriel revient sur les causes et conséquences d’une telle situation, potentiellement explosive.

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À quel point l’impôt est-il lié aux démocraties ?

Gérard Noiriel : Alors que le capitalisme s’est mondialisé, les forces de résistance au capitalisme sont restées atomisées. Nous vivons donc une situation dramatique où les grandes fortunes peuvent aisément échapper à l’impôt, notamment à travers l’optimisation ou les paradis fiscaux. Les États-nations, même s’ils souhaitaient mettre en place des mesures coercitives, se retrouvent face à une mondialisation qui les dépossède. D’où l’importance d’agir a minima au niveau européen. Ce n’est toutefois pas un fait nouveau : l’une des raisons de l’échec du Front populaire avait été la fuite des capitaux. La situation est tout simplement plus marquée aujourd’hui.

 

Comment expliquer cette facilité grandissante, depuis la vague néolibérale, à éviter l’impôt ?

Gérard Noiriel : Alors que le capitalisme s’est mondialisé, les forces de résistance au capitalisme sont restées atomisées. Nous vivons donc une situation dramatique où les grandes fortunes peuvent aisément échapper à l’impôt, notamment à travers l’optimisation ou les paradis fiscaux. Les États-nations, même s’ils souhaitaient mettre en place des mesures coercitives, se retrouvent face à une mondialisation qui les dépossède. D’où l’importance d’agir a minima au niveau européen. Ce n’est toutefois pas un fait nouveau : l’une des raisons de l’échec du Front populaire avait été la fuite des capitaux. La situation est tout simplement plus marquée aujourd’hui.

 

Le refus de certaines élites de payer l’impôt menace-t-il les démocraties ?

Gérard Noiriel : L’inégalité sociale n’est pas incompatible avec la démocratie. Le XIXe siècle en témoigne, et nous retournons actuellement vers cette époque sans que les régimes démocratiques s’effondrent pour autant. Toutefois, l’actualité nous montre qu’à force de laisser les puissants échapper à l’impôt, aux règles communes, des révoltes de plus en plus grandes se font jour.

 

Vous pensez aux Gilets jaunes ?

Gérard Noiriel : Par exemple. Cette révolte a touché deux éléments fondamentaux de l’histoire politique : la question de la citoyenneté et, donc, celle de l’impôt. L’histoire nous enseigne que les luttes sociales, même lorsqu’elles sont perdantes, contribuent à faire évoluer une société. Elle nous apprend également que les élites peuvent prendre des mesures qu’elles ne souhaitent pas lorsqu’elles comprennent que leur propre intérêt est menacé par le contexte ambiant. En France, ces dernières années, trois crises bien distinctes, aussi imprévisibles qu’essentielles, ont redonné de la force à l’État-nation : les “gilets jaunes”, le coronavirus et la guerre en Ukraine. Nous voyons alors des libéraux comme Emmanuel Macron redécouvrir la nécessité du rôle protecteur de l’État.

 

Propos recueillis par Raphaël Badache

 

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