Homo Sapiens - Une image du passé de plus en plus nette
En s’appuyant sur de nouvelles techniques de fouilles, les chercheurs bousculent notre vision de la préhistoire. Entretien avec le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin*, dont les découvertes nourrissent le documentaire "Homo sapiens – Les nouvelles origines".
En quoi vos découvertes sur le site marocain de Djebel Irhoud se sont-elles révélées importantes ?
Jean-Jacques Hublin : Elles modifient totalement le schéma des origines de l’humanité. On a longtemps cru qu’Homo sapiens était apparu il y a 200000 ans dans un “jardin d’éden” en Afrique de l’Est, avant d’en sortir pour conquérir le reste du monde. En réalité, il y avait également des Homo sapiens il y a 300000 ans en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, le Sahara n’a pas toujours été la barrière de sable que l’on connaît. Au gré des variations climatiques, les dunes ont périodiquement cédé la place à la savane, et les populations ont circulé dans toute l’Afrique. Nous sommes le résultat de cet immense brassage.
Le site avait déjà été fouillé dans les années 1960. Pourquoi y être revenu ?
Jean-Jacques Hublin : Les connaissances scientifiques ne sont pas gravées dans le marbre, elles évoluent. Peu de chercheurs se sont intéressés à cette zone géographique, sur laquelle n’existaient que d’anciennes publications en français. Quand votre laboratoire vous finance pour chercher des fossiles, vous allez là où vous êtes certain d’en trouver, soit souvent en Afrique de l’Est.
Qu’ont apporté les nouvelles techniques ?
Jean-Jacques Hublin : Les nouvelles méthodes de datation ont plus que doublé l’âge des fossiles trouvés au Maroc. Grâce aux logiciels d’imagerie, on peut reconstituer leurs formes, ajuster les parties manquantes. Notre image du passé devient ainsi de plus en plus nette. La recherche de nouveaux fossiles mais aussi les possibilités d’analyse nouvelles justifient de refouiller de nombreux sites, en Europe notamment.
Que reste-t-il à découvrir ?
Jean-Jacques Hublin : Jeune, j’avais le sentiment d’arriver après la bataille. Or on a trouvé ces quarante dernières années plus de fossiles que dans le siècle précédent. Aujourd’hui, on maîtrise des techniques qui relevaient de la sciencefiction au début de ma carrière. Comment et pourquoi sapiens a-t-il pris le dessus sur les autres espèces humaines ? Les jeunes chercheurs pourront bientôt y répondre.
Êtes-vous toujours ému devant ces ossements ?
Jean-Jacques Hublin : Des fossiles humains aussi anciens étant très rares, il est toujours très stimulant d’en découvrir de nouveaux. Par ailleurs, je n’y vois pas simplement des bouts d’os, mais des personnes. Se retrouver là où elles ont vécu, toucher les objets qu’elles ont utilisés s’avère extrêmement émouvant. J’exerce ce métier pour sauver de l’oubli des êtres perdus.
Propos recueillis par Maria Angelo
* Directeur du département d’évolution humaine à l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire de Leipzig.