12 OCTOBRE 2021

Hypermarchés, la chute de l'empire - La guerre des prix

Entretien avec le journaliste Rémi Delescluse, qui lève le voile sur le déclin de la grande distribution et ses méthodes de négociation brutales, parfois illégales, avec les fournisseurs de produits alimentaires.

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Pourquoi le modèle des hypermarchés est-il en crise ?

Rémi Delescluse : La société change, la profusion de l’offre excite moins le consommateur, qui privilégie des surfaces plus petites, en centre-ville. Il y a aussi l’émergence des enseignes spécialisées, par exemple dans le bio, et bien sûr la grande révolution provoquée par les acteurs du e-commerce, comme Amazon. Ils ont commencé par attaquer la grande distribution sur le non-alimentaire (textile, maroquinerie, électroménager), secteur que cette dernière a dû peu à peu délaisser. Or ces produits à forte rentabilité finançaient les rayons moins lucratifs, comme l’alimentation.

 

Cette évolution débouche aujourd’hui sur une “guerre des prix” autour des produits alimentaires...

Rémi Delescluse : En France, elle a débuté en 2014. En matière alimentaire, les hypermarchés vendent globalement tous la même chose. Pour attirer le consommateur, il leur faut donc se différencier sur le prix, ce qui implique toujours plus de promotions. Cette baisse des prix se répercute sur les négociations commerciales annuelles entre la grande distribution et ses fournisseurs, à savoir les entreprises de l’agroalimentaire.

 

De quelle façon ?

Rémi Delescluse : Les hypermarchés ont confié leurs intérêts à des centrales d’achats pour ces négociations, qui, d’après les fournisseurs, se révèlent souvent plus “viriles”, à la baisse pour eux, et parfois illégales. Les acteurs de la grande distribution sont d’ailleurs régulièrement épinglés par les services de l’État pour des pratiques commerciales abusives.

 

Face au climat de terreur instauré par la grande distribution, pourquoi les fournisseurs ne claquent-ils pas la porte ?

Rémi Delescluse : Ils n’ont pas vraiment le choix. La grande distribution se concentre autour de sept ou huit acteurs dominants, indispensables pour les entreprises de l’agroalimentaire. En état de dépendance économique, celles-ci reviennent chaque année à la table des négociations. Par ailleurs, si un fournisseur étale sur la place publique ses difficultés avec la grande distribution, il risque d’être sévèrement sanctionné, de disparaître des rayons des hypermarchés et de perdre une part importante de son chiffre d’affaires.

 

Comment la grande distribution justifie-t-elle ce modèle ?

Rémi Delescluse : Par ce postulat : le consommateur veut des prix bas. Elle explique défendre le pouvoir d’achat des Français en leur offrant la possibilité de se nourrir pour pas cher dans un contexte de crise. Mais cette guerre des prix a évidemment des conséquences sur toute la chaîne de production, sur les fournisseurs, sur l’emploi... Nous sommes face à un engrenage : un secteur de la grande distribution très concurrentiel qui traverse une zone de turbulences, des fournisseurs soumis à des impératifs économiques et des consommateurs qui se déplacent dans les hypermarchés parce que des prospectus leur promettent des promotions.

 

Propos recueillis par Raphaël Badache