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06 SEPTEMBRE 2018

Interview de Luc Hermann - Starbucks sans filtre

Interview du réalisateur de "Starbucks sans filtre" Luc Hermann - ARTE Magazine n° 35 - Irène Berelowitch

Media

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’enquêter sur Starbucks ?

Luc Hermann : Son omniprésence dans les villes des États-Unis et de certains pays d’Europe. Comme je voyage beaucoup, j’ai été frappé par la multiplication éclair de ses enseignes et par la manière dont elles ont imprimé leur marque en très peu de temps sur les paysages urbains. Il existe aujourd’hui plus de 28000 Starbucks dans le monde, dans 77 pays,avec en Chine une ouverture toutes les quinze heures ! J’ai constaté, à ma surprise, que personne n’avait vraiment enquêté sur cette marque quasi iconique. Et puis, avec Gilles Bovon, nous voulions élucider un mystère : qu’est-ce qui pousse des gens à se lever à l’aube pour faire la queue, par exemple à Strasbourg ou à Tours lors de l’inauguration d’une boutique, pour avoir le privilège d’acheter un café 5 euros – une boisson disponible partout pour deux ou trois fois moins cher ?

 

Vous avez la réponse ?

L.H. : Comme Apple, Starbucks, qui cible les classes moyennes, a réussi, grâce à une forme de génie marketing, à faire croire à des millions de consommateurs que la possession de son produit – la fameuse “expérience” Starbucks – représente un gage de “cool”. Mais nous montrons que son argumentaire écologiste et progressiste repose largement sur le bluff. C’est une multinationale comme les autres, mais qui déguise mieux que les autres son mercantilisme très agressif et son obsession du profit. Entre autres exemples, elle affirme pratiquer le commerce équitable, mais impose aux petits producteurs un intermédiaire qui biaise le jeu ; elle qualifie ses employés de “partenaires”, mais les fait travailler très dur – un tiers du temps de travail est consacré au nettoyage – pour un salaire toujours minimum ; elle affiche ses préoccupations sociales et environnementales mais distribue quatre milliards par an de gobelets non recyclables – ce qui m’a stupéfié – et cherche à éviter l’impôt par une politique systématique d’optimisation fiscale.

 

L’entreprise a-t-elle cherché à freiner vos investigations ?

L.H. : Oui, mais à sa manière, avec subtilité. Comme beaucoup d’autres géants de ce type, Starbucks confie sa communication à des agences mondiales. Il a fallu des semaines de négociation pour pouvoir tourner dans un nombre très réduit de cafés (deux à Londres, trois à Paris, un à Washington et deux à Shanghai), avec interdiction de parler au personnel. La quasi-totalité des salariés contactés a par ailleurs refusé de s’exprimer, même anonymement, aussi nous sommes-nous résolus à faire embaucher une collaboratrice, qui a travaillé deux mois dans un Starbucks parisien. En revanche, pour décortiquer la politique immobilière extrêmement belliqueuse de Starbucks et centrale dans sa stratégie, nous n’avons pas pu contourner le mur de silence instauré par les agents immobiliers. Seul un patron de restaurant new-yorkais, évincé brutalement par Starbucks, a bien voulu évoquer ce qui relève d’une forme de prédation. Et surtout, à mon grand regret, nos multiples demandes pour interviewer Howard Schultz, l’ex-grand patron, n’ont jamais abouti.

 

En quoi Starbucks reflète-t-il notre époque ?

L.H. : En 2000, dans son livre « No Logo », Naomi Klein décortiquait déjà le phénomène de ces marques qui colonisent les espaces publics et les imaginaires. Il n’a fait que s’amplifier, et Starbucks, avec sa stratégie de conquête, en est une illustration éloquente. Cela dit, nous ne sommes pas des militants, mais des journalistes, et nous signons un film exclusivement factuel. Il se contente de déconstruire une com très bien huilée.