20 SEPTEMBRE 2018

Interview du scientifique Derek Muller - Vitamines - Fantasmes et vérités

Entretien avec le diplomé en physique et spécialiste de la vulgarisation scientifique, le Canado-Australien Derek Muller.

Media

Vous dites dans le film qu’avant cette enquête le mot “vitamine” n’évoquait pour vous que des pilules...

Derek Muller : C’est vrai. Alors que maintenant je sais qu’il me suffit de me nourrir d’aliments savoureux pour l’essentiel, à part peut-être l’huile de foie de morue, pour garantir à mon corps les vitamines dont il a besoin. C’est moins répandu en Europe, mais en Amérique du Nord comme en Australie, la plupart des gens qui se soucient de leur santé et ont un peu de moyens consomment des compléments alimentaires sous forme de pilules. Nous voulions comprendre ce qui se cachait derrière cette inflation de cachets, qui alimente un marché énorme, en constante expansion.

 

Quelle a été votre plus grosse surprise, au fil de vos recherches ?

D.M. : Découvrir qu’il n’y avait aucune régulation, aucune obligation, pour ceux qui commercialisent ces compléments alimentaires prétendument bénéfiques. En Europe, là encore, la situation est un peu différente : les fabricants sont tenus au moins de fournir une preuve scientifique des avantages qu’ils promettent.

Mais ailleurs, on peut commercialiser absolument n’importe quoi. Cela tient au fait que les compléments alimentaires ne sont pas considérés comme des médicaments. Paradoxalement, ce sont souvent des gens méfiants à l’égard de l’industrie pharmaceutique, et très soucieux de la qualité de leur alimentation, qui forment le cœur de cible de ce qui relève dans certains cas d’une propagande grossière. Or, même si les accidents sont rares, ces automédications peuvent s’avérer dangereuses. J’ai été également étonné de constater combien, avec la mondialisation, la production industrielle est aujourd’hui concentrée en Asie, et singulièrement en Chine, d’où proviennent par exemple près de 80 % des vitamines C qu’on trouve sur le marché américain.

 

En même temps, vous montrez qu’une maladie comme le scorbut, due à une carence en vitamine C, a fait sa réapparition en Occident...

D.M. :C’est l’autre paradoxe de la question. Ceux qui n’en ont pas besoin en consomment massivement, et ceux qui en manquent n’y ont parfois pas accès, faute de moyens, mais aussi d’information.

 

Pensez-vous qu’un film comme le vôtre peut changer les choses ?

D.M. : Non, ou alors de façon très marginale. Ma démarche, que ce soit avec ce documentaire ou sur Youtube, consiste à tester la véracité des histoires qu’on raconte au public au nom de la science. C’est pourquoi je cherche à être aussi clair, aussi pédagogique et aussi réaliste que possible. Un documentaire ne change pas la face du commerce mondial, sinon nous le saurions depuis longtemps.

 

Propos recueilli par Irène Berelowitch pour ARTE.

ARTE Magazine n° 39.