07 MAI 2020

L'Agent immobilier - Avec vue sur l’étrange

L’écrivain Etgar Keret et l’actrice et réalisatrice Shira Geffen ont imaginé "L’Agent immobilier", une série loufoque et touchante, qui donne de plain-pied sur leur univers singulier. Entretien avec deux figures de la scène artistique israélienne.

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Comment est née cette œuvre atypique ?

Etgar Keret : L’idée d’une série sur un agent immobilier me trotte dans la tête depuis longtemps. Je l’avais proposée à la télévision israélienne, mais elle a été jugée trop étrange. Par la suite, j’en ai parlé à Yaël Fogiel (productrice, avec Laetitia Gonzalez, de notre film Les méduses*), et elle m’a convaincu de monter le projet en France. Nous avons écrit le scénario avec Shira, et quand s’est posée la question de la réalisation, il m’a semblé que nous étions les mieux placés – je craignais sinon que la saveur initiale ne se perde. Je suis reconnaissant à ARTE d’avoir accepté, bien que nous ne parlions pas français. Par la suite, j’ai vu combien il est compliqué de tourner dans une langue qui n’est pas la sienne !

Shira Geffen : Un autre élément décisif a été Mathieu Amalric. Nous l’avons rencontré dans un festival de littérature, où il était venu lire des textes. On a eu le sentiment de voir notre personnage. Mathieu étant français, nous n’avions plus le choix ! Sur la question de la langue, il s’est révélé d’une aide précieuse. Tous les jours, il passait le texte au crible avec nous pour en saisir les intentions, et les rendre en français le mieux possible. La série lui doit énormément : c’est un travail à trois voix.

L’histoire pourrait-elle se passer n’importe où ?

Shira Geffen : Oui. Au cours du travail d’écriture, nous avons pris conscience que cette histoire d’agent immobilier qui voyage dans le temps nous amenait à aborder la question de la filiation, un sujet universel.

Etgar Keret : Nos récits comportent toujours une part de conte. Il s’agit de contes réalistes, qui prennent pour objet des situations vécues. On n’identifie pas clairement où se passe cette histoire, en raison du choix des décors et parce que notre personnage mélange fantasme et réalité. Nous avons essayé de transposer cette incertitude dans notre manière de tourner.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans le thème de l’immobilier ?

Etgar Keret : Nous sommes partis du paradoxe d’un agent immobilier sans domicile fixe, qui dort dans les appartements qu’il est censé vendre, ne trouve pas sa place et va tenter de reconstruire sa relation à sa famille et à son passé. À cette idée s’est superposée mon histoire familiale. Quand mon père est mort, il a légué à ma mère une partie d’un immeuble en indivision. Ce bâtiment se trouvait dans un état déplorable, et l’autre propriétaire était un salopard. Cette situation difficile m’a donné le désir de voyager dans le passé, pour redécouvrir cet édifice et ses habitants sous un jour plus heureux, et comprendre ce qui s’était cassé en chemin. L’immeuble est une métaphore de ce qui peut abîmer les êtres humains.

Shira Geffen : Une série de la BBC, The Singing Detective de Dennis Potter (1986), a aussi été une référence importante. Comme notre personnage, son héros se réfugie dans le fantasme à mesure que sa situation empire.

La série mêle différentes tonalités, du loufoque à l’émotion...

Etgar Keret : Pour la décrire, avant le tournage, on avait coutume de dire : imaginez la rencontre de David Lynch et de Charlie Chaplin. Ranger une histoire dans un genre me semble artificiel ou réducteur car dans la vie, on change constamment de registre.

Comment en êtes-vous venus à choisir Eddy Mitchell pour le rôle du père ?

Etgar Keret : Bien qu’il ne soit plus tout jeune, ce père continue d’apporter foi et optimisme à son fils, qui traverse une période de doute. Pour ce personnage, l’âge importe peu. On trouve parfois ce trait de caractère chez les rock stars. Nous avons rencontré Eddy Mitchell dans un restaurant. Quand on l’a vu avaler ses cachets avec un verre de whisky, on a su que c’était lui !

 

Propos recueillis par Jonathan Lennuyeux-Comnène * Récompensé d’une Caméra d’or à Cannes en 2007.