21 SEPTEMBRE 2020

Le nouveau monde du silence - Planète Méditerranée

Depuis une station pressurisée, le biologiste et photographe Laurent Ballesta et trois autres plongeurs ont pu explorer pendant vingt-huit jours les grands fonds du littoral méditerranéen. Une expédition périlleuse dont il a rapporté des images d’exception.

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En quoi cette mission en Méditerranée était-elle différente de vos précédentes expéditions ?

Laurent Ballesta : Plonger plusieurs heures durant en complète autonomie, sans être relié par un câble à la tourelle qui nous descendait au fond chaque jour, a constitué une première mondiale. Contrairement aux modèles de scaphandres habituels, les nôtres, recycleurs de gaz, nous rendaient libres de nos déplacements dans la zone de plongée. Nous avons ainsi pu rester jusqu’à six heures par jour à plus de 100 mètres de fond, alors que jusque-là je n’avais jamais pu dépasser trente minutes. Le vrai danger était de se perdre et de ne pas retrouver la tourelle pressurisée, qui nous ramenait en quelques minutes à notre station bathyale. Nous avons donc travaillé en amont sur une série de scénarios catastrophes, et développé une sorte de GPS acoustique novateur, ainsi qu’un système de balises de détresse que l’on pouvait envoyer à la surface.

 

Pourquoi avez-vous choisi d’explorer les grands fonds méditerranéens, des côtes phocéennes jusqu’à Monaco ?

Laurent Ballesta : Je voulais montrer qu’en Méditerranée, dans cette mer que l’on sait polluée, surpêchée, surfréquentée, il existe encore de magnifiques écosystèmes sauvages qui recèlent des créatures d’une grande singularité, toutes sont des espèces en péril. Pour moi, ce fut comme un voyage à domicile, mais dans un univers parallèle. Si je consultais une carte, j’étais à Fréjus ou à Saint-Tropez, mais si je regardais sous mes palmes, j’étais dans une forêt de corail, dans un autre monde, aussi coloré que les fonds marins des régions les plus exotiques, et avec des espèces parfois inconnues, en tout cas jamais filmées vivantes.

 

Comment avez-vous traversé les vingt-huit jours dans cette station bathyale que vous ne quittiez pas, même revenus à la surface ?

Laurent Ballesta : Nous ne pouvions pas la quitter en effet, sous peine d’accident fatal ! Rester confinés était le prix à payer pour avoir droit à une liberté sans précédent. À la fin de ces quatre semaines, nous avions un peu mauvaise mine : nos visages avaient une teinte grisâtre causée par l’anémie, car dans un environnement à haute pression le taux de globules rouges dans le sang s’effondre. En revenant à l’air libre, on souffre donc du mal des montagnes : migraines, insomnies, souffle court. Nous étions également tous plus ou moins à fleur de peau, car dans notre module de vie de 5 m2 , nous respirions un mélange d’oxygène et d’hélium qui altère la vibration des cordes vocales à tel point que nous ne pouvions pas nous parler. Par ailleurs, à cette profondeur, l’eau est glacée, et, malgré les combinaisons, nous avons souffert du froid en permanence.

 

Avez-vous dû relever des défis techniques particuliers pour réaliser le film ?

Laurent Ballesta : Quinze caméras ont été installées dans le caisson pour nous filmer en permanence. Ce matériel a dû être adapté à la pression de l’intérieur de l’habitacle. Il nous a fallu aussi travailler avec l’Ircam [Institut de recherche et coordination acoustique/musique] afin de mettre au point un logiciel qui rende nos paroles compréhensibles.

 

Avec quelles autres missions souhaiteriez-vous enchaîner ?

Laurent Ballesta : J’ai envie de poursuivre l’aventure en Méditerranée. J’ai notamment pour projet d’explorer une immense grotte creusée dans une île tunisienne, des volcans sous-marins en Italie, des îles grecques, aussi, près desquelles se réfugient des phoques moines, et des chapelets d’îlots totalement inconnus.

 

Propos recueillis par Maria Angelo

 

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