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03 JUIN 2017

Les Inrockuptibles - Jean-Baptiste Morain: Ce jour-là

"Comme le disait André Breton à propos de Benjamin Péret, le problème, avec les gens qui ne se prennent pas au sérieux, c'est que personne ne les prend au sérieux. On pourrait affirmer la même chose de Ce jour-là, nouvelle pierre de l'édifice ruizien (un gratte-ciel instable), qui a tout de l'objet loufoque sans queue ni tête, de la grosse poilade sur la Suisse (le sous-titre du film est "Une comédie helvétique" ­ notons au passage, non sans joie, que le film représentait la Suisse en sélection officielle du Festival de Cannes). Ce qu'il est. Si ce n'est que, dès les premiers plans sur Elsa Zylberstein (actrice fragile, qui n'a jamais été aussi bouleversante, ni aussi belle, ni aussi bien filmée), il est également évident que Raoul Ruiz prend très au sérieux son travail, sa mise en scène, polissant des plans convulsifs, où le ciel a la couleur des yeux de l'actrice, où son visage semble irradier la brume qui l'entoure. Le reste du film est du même tonneau, et Ruiz n'hésite jamais à mettre de la beauté dans le trivial, ou le contraire, ou les deux, notamment quand il s'amuse à grossir exagérément les premiers plans, comme le faisait Hitchcock dans Le crime était presque parfait (sauf que Ruiz n'est pas en train de tourner un film en 3D ­ quoique...). Cette liberté, cette folie baroque et cet acharnement dans le travail du filmage à montrer les choses de manière indirecte, par des systèmes de reflets sans fin, donnent au film un cachet de bizarrerie dont les fans de Ruiz sont bien sûr coutumiers. Mais il y a ici une différence de taille. Voilà longtemps qu'on n'avait pas vu un film de Ruiz aussi tenu (...) Non, dans Ce jour-là, Ruiz garde le fil de son récit, ne se laisse pas attirer par le large, résiste à l'appel des sirènes de son imaginaire et de sa vaste culture ­ qui semble sans limite, à tel point qu'on finit par se demander s'il n'en invente pas une partie, ce qui serait non moins génial ­, garde son cap et nous trousse un film jubilatoire, où la folie règne (...) nous sommes ici dans un conte, le tueur ne tuera pas la belle, dont il deviendra le protecteur, mais tous ceux qui lui voulaient du mal. Je n'en dirai pas plus.Chaque nouveau crime offre à Ruiz l'occasion de montrer toute la palette de son talent, de jouer avec les genres, de faire montre de sa virtuosité, égale à celle du tueur (qui répond au doux nom de Pointpoirot) pour jouer l'Ave Maria au piano : Ruiz n'hésitera pas, par exemple, à filmer un crime à la manière de Tex Avery. Chaque étape de ce massacre familial (et sectaire ? ­ on croit à un moment que tous ces méchants sont les membres d'une seule et même secte) ajoutera un peu de sel (ou d'un autre condiment bizarre dont le nom vous sera révélé dans le film) à son récit, un peu plus de joie noire et communicative dans le cœur du spectateur (...) Dans ce ballet joyeusement funèbre de pantins désarticulés chorégraphié par un metteur en scène en verve, il est utile de préciser que chaque personnage, du plus petit au plus grand, chaque acteur qui l'interprète, brille de mille feux (...) l'extraordinaire Jean-François Balmer (...) trouve dans Ce jour-là l'un de ses plus beaux rôles. Sobre, humain, ambigu, il est à l'image du film de Ruiz : géant et jouissif."

"Comme le disait André Breton à propos de Benjamin Péret, le problème, avec les gens qui ne se prennent pas au sérieux, c'est que personne ne les prend au sérieux. On pourrait affirmer la même chose de Ce jour-là, nouvelle pierre de l'édifice ruizien (un gratte-ciel instable), qui a tout de l'objet loufoque sans queue ni tête, de la grosse poilade sur la Suisse (le sous-titre du film est "Une comédie helvétique" ­ notons au passage, non sans joie, que le film représentait la Suisse en sélection officielle du Festival de Cannes). Ce qu'il est. Si ce n'est que, dès les premiers plans sur Elsa Zylberstein (actrice fragile, qui n'a jamais été aussi bouleversante, ni aussi belle, ni aussi bien filmée), il est également évident que Raoul Ruiz prend très au sérieux son travail, sa mise en scène, polissant des plans convulsifs, où le ciel a la couleur des yeux de l'actrice, où son visage semble irradier la brume qui l'entoure. Le reste du film est du même tonneau, et Ruiz n'hésite jamais à mettre de la beauté dans le trivial, ou le contraire, ou les deux, notamment quand il s'amuse à grossir exagérément les premiers plans, comme le faisait Hitchcock dans Le crime était presque parfait (sauf que Ruiz n'est pas en train de tourner un film en 3D ­ quoique...).
Cette liberté, cette folie baroque et cet acharnement dans le travail du filmage à montrer les choses de manière indirecte, par des systèmes de reflets sans fin, donnent au film un cachet de bizarrerie dont les fans de Ruiz sont bien sûr coutumiers. Mais il y a ici une différence de taille. Voilà longtemps qu'on n'avait pas vu un film de Ruiz aussi tenu (...)
Non, dans Ce jour-là, Ruiz garde le fil de son récit, ne se laisse pas attirer par le large, résiste à l'appel des sirènes de son imaginaire et de sa vaste culture ­ qui semble sans limite, à tel point qu'on finit par se demander s'il n'en invente pas une partie, ce qui serait non moins génial ­, garde son cap et nous trousse un film jubilatoire, où la folie règne (...) nous sommes ici dans un conte, le tueur ne tuera pas la belle, dont il deviendra le protecteur, mais tous ceux qui lui voulaient du mal. Je n'en dirai pas plus.Chaque nouveau crime offre à Ruiz l'occasion de montrer toute la palette de son talent, de jouer avec les genres, de faire montre de sa virtuosité, égale à celle du tueur (qui répond au doux nom de Pointpoirot) pour jouer l'Ave Maria au piano : Ruiz n'hésitera pas, par exemple, à filmer un crime à la manière de Tex Avery.
Chaque étape de ce massacre familial (et sectaire ? ­ on croit à un moment que tous ces méchants sont les membres d'une seule et même secte) ajoutera un peu de sel (ou d'un autre condiment bizarre dont le nom vous sera révélé dans le film) à son récit, un peu plus de joie noire et communicative dans le cœur du spectateur (...)
Dans ce ballet joyeusement funèbre de pantins désarticulés chorégraphié par un metteur en scène en verve, il est utile de préciser que chaque personnage, du plus petit au plus grand, chaque acteur qui l'interprète, brille de mille feux (...) l'extraordinaire Jean-François Balmer (...) trouve dans Ce jour-là l'un de ses plus beaux rôles. Sobre, humain, ambigu, il est à l'image du film de Ruiz : géant et jouissif."