03 JUIN 2017

Les Inrockuptibles - Serge Kaganski: Shoah - Première époque - Partie 1

" En évacuant la chronologie historique habituelle et la dramaturgie de l'enchaînement graduel de causes et d'effets, en refusant le "pourquoi" de l'extermination industrielle des Juifs mais en se tenant obstinément au plus près du "comment" de ce trou noir du XXe siècle, les yeux et les oreilles dans le guidon du néant, en donnant la parole aux acteurs et témoins les plus proches de la catastrophe (survivants des commandos spéciaux, SS responsable du fonctionnement de Treblinka, paysans polonais vivant à proximité des lieux), et en déposant ces paroles sur les lieux muets de l'extermination filmés au présent, Lanzmann fait voir, ressentir et penser cet événement mieux que tous les documents d'archives et autres reconstitutions (...) En n'incluant aucune image d'archives, Lanzmann ne fait que tenir compte de cette monstrueuse ellipse et invente magistralement la forme idoine de son film : il "montre" un crime sans image, dont les traces ont été scrupuleusement effacées par les auteurs. Shoah, c'est neuf heures et demie de cinéma qui prend acte de cette absence d'image tout en luttant contre par d'autres moyens (la parole, la construction mentale de chaque spectateur). On pourrait encore gloser des heures sur le premier carton du film ("L'action commence de nos jours à Chelmno-sur-Ner", voilà qui contredit d'emblée l'idée d'un documentaire historique), sur sa structure circulaire et sur sa fin sans fin (un train qui roule), sur sa façon unique de conjuguer le passé au présent, sur la ténacité incroyable de Lanzmann qui réussit à extirper la mémoire enfouie des témoins jusque dans les moindres détails pour en faire surgir toute la vérité... Chef-d'œuvre inépuisable, on vous dit."

" En évacuant la chronologie historique habituelle et la dramaturgie de l'enchaînement graduel de causes et d'effets, en refusant le "pourquoi" de l'extermination industrielle des Juifs mais en se tenant obstinément au plus près du "comment" de ce trou noir du XXe siècle, les yeux et les oreilles dans le guidon du néant, en donnant la parole aux acteurs et témoins les plus proches de la catastrophe (survivants des commandos spéciaux, SS responsable du fonctionnement de Treblinka, paysans polonais vivant à proximité des lieux), et en déposant ces paroles sur les lieux muets de l'extermination filmés au présent, Lanzmann fait voir, ressentir et penser cet événement mieux que tous les documents d'archives et autres reconstitutions (...) En n'incluant aucune image d'archives, Lanzmann ne fait que tenir compte de cette monstrueuse ellipse et invente magistralement la forme idoine de son film : il "montre" un crime sans image, dont les traces ont été scrupuleusement effacées par les auteurs. Shoah, c'est neuf heures et demie de cinéma qui prend acte de cette absence d'image tout en luttant contre par d'autres moyens (la parole, la construction mentale de chaque spectateur).

On pourrait encore gloser des heures sur le premier carton du film ("L'action commence de nos jours à Chelmno-sur-Ner", voilà qui contredit d'emblée l'idée d'un documentaire historique), sur sa structure circulaire et sur sa fin sans fin (un train qui roule), sur sa façon unique de conjuguer le passé au présent, sur la ténacité incroyable de Lanzmann qui réussit à extirper la mémoire enfouie des témoins jusque dans les moindres détails pour en faire surgir toute la vérité... Chef-d'œuvre inépuisable, on vous dit."