Nos amies les bactéries
Partis explorer nos intestins, Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade ont découvert une révolution scientifique. Mais ils nous alertent sur l’appauvrissement de notre microbiote. Entretien.
Comment avez-vous réussi à mettre en images l’invisible microbiote ?
Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade : Les bactéries, virus, parasites ou phages présents dans notre intestin sont en effet invisibles à l’œil nu, donc impossibles à filmer. Mais les scientifiques en parlent comme d’un eldorado, un monde merveilleux, hélas menacé, notamment par notre alimentation de plus en plus pauvre en fibres. Pour convaincre ses enfants de manger plus de fruits et légumes, une des chercheuses que nous avons interviewées compare le microbiote à un petit animal domestique qui vit dans leur ventre et qu’il faut bien nourrir. Nous avons alors pensé à l’univers poétique du cinéaste Hayao Miyazaki, et décidé de donner aux bactéries intestinales le visage de personnages rigolos et attachants. Une fois le film monté, il a fallu trois mois pour fabriquer les images d’animation.
Il fallait aussi ne pas dégoûter le spectateur avec des images de selles…
Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade : Nous avons traité le sujet avec humour, et surtout nous avons ménagé le suspense. Les premières selles que l’on voit dans le film sont factices, elles viennent d’un magasin de farces et attrapes. Il a été difficile de trouver des crottes qui ne luisent pas trop ! Il a fallu les saupoudrer de cacao pour leur donner un aspect plus mat. Ensuite, il y a un travelling dans les toilettes, mais il s’arrête au bord de la cuvette. Ce n’est qu’à la moitié du film qu’on aborde le sujet de la transplantation fécale, et que l’on filme de vrais cacas...
Vous définissez-vous comme des documentaristes militants ?
Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade : Nous préférons dire que nous faisons des films “engagés”, car nous n’avançons que des arguments scientifiques, jamais idéologiques. En l’occurrence, nous voulions montrer que la menace qui pèse sur la biodiversité de la planète s’observe également au plus profond de nos entrailles, mettant ainsi en péril notre santé. Nous filons donc la métaphore tout au long du film entre une nature dont les espèces animales et végétales disparaissent et un microbiote appauvri lui aussi par le mode de vie moderne. Ce film alerte donc sur un danger, mais il se veut aussi porteur d’espoir. Les chercheurs nous ont présenté de fantastiques perspectives thérapeutiques, et donné quelques conseils de prévention pour avoir un microbiote équilibré, afin de permettre au téléspectateur de devenir acteur de sa santé.
Propos recueillis par Maria Angelo