28 FÉVRIER 2011

"Que se passe-t-il quand l'amour d'un détenu est condamné à sept ans de frustration ?"

Le réalisateur évoque le point de départ de son premier long-métrage, tourné après l'expérience d'un documentaire sur la prison, et les questions de scénario et de mise en scène qu'imposent le sujet, "cette impossibilité d’énoncer clairement ce qu’ils éprouvent, qui créait tout au long du récit une vraie tension dramatique, comme si les mots devenaient leur pire ennemi."

Après avoir été journaliste à Canal Plus, puis assistant réalisateur sur Les Roseaux sauvages et Les Voleurs d’André Téchiné, Jean-Pascal Hattu a réalisé trois courts métrages de fiction : Coma (1995), Au-dessus de la mer (1997), Cadeaux (2000). Il a réalisé une dizaine de films pour l’émission Strip-Tease, dont Gardez le sourire, un documentaire sur une gardienne de prison qui contribua à l’inspirer pour l’écriture de 7 ans. Il explique :

"La première fois que j’ai été en contact avec la prison, c’est à travers l’histoire d’un ami qui a été incarcéré pendant plusieurs mois. Je suis allé le voir au parloir chaque semaine et j’ai également passé beaucoup de temps avec sa femme. Je me suis ainsi retrouvé témoin d’un couple qui, à cause de la prison, découvrait la frustration et se trouvait confronté à la difficulté de faire perdurer l’amour. J’ai été particulièrement frappé par tout ce que m’a raconté cette femme : le poids de chaque geste et de chaque regard au parloir, comment le désir parvenait à y circuler malgré l’interdiction formelle de se toucher. Quelque temps après, j’ai réalisé un documentaire sur une gardienne de prison. Je me suis retrouvé immergé dans une Maison d’Arrêt avec une assez grande liberté de déplacement. À travers les conversations que j’ai eu avec les détenus, j’ai pu recouper les premières impressions ressenties avec l’histoire de mes amis. Il faut savoir que la moitié des détenus se sépare de leur compagne au cours de leur première année d’incarcération. Si certains veulent ainsi permettre à leur femme de refaire sa vie, beaucoup expliquent qu’il est moins douloureux de rompre que d’imaginer leur épouse avec un autre homme. 

Après le documentaire sur cette gardienne, j’ai souhaité en réaliser un autre sur les relations des détenus avec leur compagne mais l’administration pénitentiaire s’y est opposée. Ce refus a été, pour moi, un déclencheur. J’avais depuis longtemps, l’envie de mettre l’histoire d’un couple séparé par la prison au coeur d’une fiction, et je me suis dit que le moment était sans doute venu. J’avais envie d’imaginer moi-même une histoire et la ramener vers le réel. 

Avec Gilles Taurand, mon co-scénariste, nous nous sommes d’abord posé la question des personnages. Comment leur faire dire ce qu’ils ne peuvent pas exprimer de façon explicite, compte tenu de la situation d’enfermement dans laquelle ils se trouvent embarqués ? Il nous a semblé que cette impossibilité d’énoncer clairement ce qu’ils éprouvent, créait tout au long du récit une vraie tension dramatique comme si les mots devenaient leur pire ennemi. Pour dire sa détresse et son amour, Vincent gifle Maïté. Brûler un stop à l’examen du code signifie probablement autre chose qu’un simple échec : Maïté a franchi la ligne jaune. Quand elle vole les clés de la voiture de Jean et se retrouve coincée par les gendarmes, un tel acte est loin d’être innocent. Une des difficultés majeures de cette écriture était de montrer des personnages qui agissent et réagissent sans jamais s’expliquer. Il suffit que Maïté dise à Vincent « il faut que je te parle » pour qu’il lui réponde : « je t’ai rien demandé ». Nos trois personnages évoluent ainsi dans le non-dit, la rétention et le silence. Et quand la parole fait à ce point défaut, c’est la violence qui déborde, d’autant plus tragique que personne, dans cette histoire d’amour et de désir, n’est le maître du jeu. 

Que se passe-t-il dans la tête d’un détenu quand son désir pour la femme qu’il aime est condamné à sept ans d’abstinence, de frustration ? C’est le point de départ de ce film. Vincent et Maïté sont contraints de vivre leur sexualité sur le mode fétichiste et furtif : la culotte de Maïté, l’odeur de Vincent sur un pull, quelques gouttes de parfum… Mais leur histoire ne peut pas se réduire à la seule répression du lien sexuel. Ils s’aiment, c’est incontestable, et pour se rapprocher davantage de Maïté, Vincent utilise Jean comme un corps de substitution. « Moi je l’aime mais c’est toi qui la baise. » Jean se prête au jeu. Le chaos des sentiments et la culpabilité, entremêlés,deviennent l’ennemi du plaisir. Maïté, affolée, doit vivre à la fois sa dépendance sexuelle à Jean et sa peur de perdre l’homme de sa vie. Jean se met peu à peu à aimer Maïté, et de son côté, Vincent ne peut plus arrêter la machine infernale de ses fantasmes. Sans oublier l’étrange relation d’amitié qui lie le gardien de la loi au détenu. Tout en étant instrumentalisé, Jean a les pleins pouvoirs sur le corps prisonnier de Vincent, comme le montre cette scène où il le fouille. Qui possède qui ? Libre de ses mouvements, Maïté serait peut-être la seule à pouvoir décider de la suite. Que veut-elle ? Enchaînée à un enfant qui n’est pas le sien, guerrière à sa façon, elle essaie de faire face jusqu’au moment où elle prend la fuite. J’ai voulu pousser mes trois personnages au plus loin de leur folie. À la montagne, abandonnée dans les bras de Jean, Maïté découvre à quel point ils partagent leur amour de Vincent. Une telle circulation du désir, sexuel et amoureux, en fait des hors-la-loi. La transgression est manifeste pour le gardien de prison, qui en aucun cas n’a le droit de rencontrer des personnes qui ont un lien avec les détenus. Elle est tout aussi manifeste pour Maïté dès l’instant qu’elle accepte dans sa vie un amant complice de son mari. Trio infernal ? Perversion du désir ? J’aimerais que l’aventure des corps l’emporte toujours sur la psychologie. Dans ce jeu de miroir où chacun cherche sa place et son identité, il y a plus à perdre qu’à gagner. Et pourtant au bout de cette histoire, je crois, que chacun a fait un grand pas en avant. 

Les trois personnages, chacun à une place singulière, sont emprisonnés. Le jeune gardien rêve de pouvoir profiter du corps de Maïté pendant sept ans. Il semble ne pas comprendre au début qu’elle est « enfermée dehors » et que sa liberté de mouvement n’est qu’apparente. Jusqu’au moment où lui-même est pris au piège, déchiré entre son amour naissant pour Maïté et sa soumission à Vincent. Son uniforme ne lui est plus d’aucune utilité. Dans ce film, l’univers carcéral, avec les tours de clés, les appels des matons, les visites au parloir, les hurlements des détenus la nuit, est le contraire d’un décor. C’est un personnage à part entière… Si Vincent est le seul à être incarcéré, Jean et Maïté, même quand ils font l’amour en pleine campagne, sont obligés de revenir à la prison. C’est dans ce lieu que tout se joue. 

La prison de Vincent, la maison de Maïté et la campagne… Ce sont les trois espaces où les personnages évoluent dans la durée. Plus je m’en tenais à ces lieux plus j’avais l’impression de coller à mes intentions : enfermement et liberté. En ce qui concerne la lumière du film, je souhaitais retrouver les lumières que j’avais pu capter dans mes documentaires ou mon expérience dans les parloirs. Pascal Poucet, le chef opérateur a réussi à recréer parfaitement cette ambiance. Pour les extérieurs, ça s’est passé un peu de la même manière. J’ai voulu laisser la lumière naturelle s’imposer comme dans le documentaire. On a souvent joué avec la météo et la tombée de la nuit pendant tout le tournage sans rajouter de sources artificielles. Pour la fin du film, je voulais que la montagne soit comme un grand bol d’air, que le ciel soit très dégagé comme le paysage. On quitte l’enfermement. C’est à ce moment-là que la pensée de Maïté s’éclaircit. Je voulais qu’elle puisse reprendre sa respiration dans cette immensité."

Propos recueillis par Jean-Marie Charuau