28 FÉVRIER 2011

Rencontrer des personnages par bribes, au fil des saisons

La réalisatrice Julie Lopes-Curval se dit effrayée par la rapidité. Dans son premier long-métrage de fiction, "Bord de mer", elle a cherché à retrouver une intimité avec des personnages en suivant leurs histoires par bribes, au fil des saisons, filmant, dit-elle, "des existences qui se côtoient mais ne se rencontrent pas forcément, qui résonnent entre elles et finissent par avoir une réelle influence les unes sur les autres..."

Bord de mer est né d'une rencontre avec une petite ville de la Baie de Somme. Un lieu insolite, populaire, avec un charme aristocratique.Une ville suffisamment riche : elle a son industrie, son casino, sa plage, pour que s'y rencontrent des êtres très différents.

"Plus on est précis, plus on devient général", écrit Diane Arbus. Cette envie de précision qui est certainement le travail de toute une vie, je trouvais intéressant de l'aborder en choisissant un lieu nu, forcément précis par le peu qu'il a et le profond qu'il suggère.Un lieu cinématographique aussi à l'image de ce que j'aime : que ce soit les paysages de Hopper, à la fois désolés et très doux, uneatmosphère proche de certains films de Wenders ou d'images de Jeff Wall... Enfin, une atmosphère, une tonalité.Un lieu ouvert sur la mer où l'idée de départ est omniprésente, mais où le possible et le réel ancrent certains à vie dans cet espace-là.Une envie de raconter un lieu modeste avec un regard que j'ai cherché à rendre le plus humain possible.Ce regard, c'était au travers des personnages que je pouvais le faire exister.Recréer une micro-société, donc différents personnages tant dans ce qu'ils sont intimement que dans l'apparence de leur vie. Des existences qui se côtoient mais ne se rencontrent pas forcément, qui résonnent entre elles et finissent par avoir une réelle influence les unes sur les autres ; peu à peu les destins se croisent.

Les mouvements de la vieJ'ai souvent pensé ce film comme une succession de portraits. Je travaille beaucoup en m'inspirant du travail de certains photographes et j'ai passé un temps considérable devant des photos.Je suis assez effrayée par la rapidité. Mon moyen de l'accepter est de chercher son contraire, quelque chose d'un peu ralenti... de contemplatif.Des dialogues courts, des silences, que les choses soient ouvertes, donc des suspensions... Qu'on ait le temps de regarder des êtres qui ont besoin, pour certains, de temps pour se trouver. Des personnages plus contemplatifs qu'actifs.A l'image de cette petite ville. C'est un film où le temps s'écoule : on rencontre les personnages par bribes, au fil des saisons, sur une année. On voit les endroits où ils basculent, on les retrouve quand ça a basculé.Cloisonnés dans leur existence, à force de rencontres, d'échanges, le cours de la vie des uns et des autres se modifie... à la manière des galets, ils se transforment en se frottant les uns aux autres.Ce sont des tableaux courts, en mouvement, avec des êtres incarnés dont les chemins se creusent à mesure du film, des mouvements légers mais précis.Le cycle, l'obsession, le cercle, le galet, les personnages qui tournent en rond. Une année... Les mouvements de la vie...Le fragile équilibre de ce film. À toutes les étapes, il a fallu une grande attention pour que le film ne tombe jamais dans le vide. Au montage, si on changeait une séquence de place, tout le film pouvait basculer... Avec Anne Weil (la monteuse), on a beaucoup ré-écrit au montage pour trouver le rythme juste.

J'avais commencé d'écrire et déjà je voulais qu'une usine soit le nerf de l'histoire, le lien. Un jour, j'ai découvert l'existence de l'usine de galets et j'ai trouvé que je ne pouvais pas penser mieux. Ça a quelque chose d'un peu absurde, ces cailloux sur lesquels les vacanciers se tordent les pieds et qui sont triés un peu plus loin. On amène les cailloux, on les trie et cela indéfiniment... Ça rejoignait parfaitement l'idée de cycle, d'éternel recommencement...Et puis cette usine a quelque chose d'archaïque, que ce soit ce qu'on y fait ou le lieu lui-même. J'aime bien que l'image permette de montrer ce qu'on ne va pas forcément regarder, ce qui se cache... Ce qui tend à disparaître, ce qui raconte aussi le lointain.