28 FÉVRIER 2011

Tristesse d'une ville et vitalité d'un amour naissant

Le jeune réalisateur thaïlandais Aditya Assarat a situé l'action de son premier long-métrage au bord de la mer, un an après la tragédie du tsunami, observant la naissance d'un couple cerné par les souvenirs. "Quand j’ai eu l’idée de faire ce film, dit-il, j’ai juste pensé que le contraste entre cette ville, vieille et triste et ce jeune et nouvel amour serait intéressant..."

Wonderful Town, tout comme vos deux premiers courts-métrages, Motorcycle et Waiting, se déroule à la campagne : en êtes-vous originaire ?

Non, je suis né et j’ai grandi à Bangkok, la plus grande ville de Thaïlande. A l’âge de 15 ans, je suis parti étudier aux Etats-Unis et j’y suis finalement resté 10 ans. Quand je suis enfin revenu en Thaïlande, j’ai eu l’impression d’être dans un pays étranger. C’est pourquoi je pense que mes deux premiers courts-métrages réalisés ici étaient presque vus à travers « l’oeil d’un étranger ». J’ai trouvé la vie à la campagne aussi belle qu’un étranger pourrait la trouver. Mais bien sûr, pour les thaïlandais, la campagne n’a probablement rien de spécial : entre la chaleur, la poussière et le dur labeur dans les champs... En fait, quand je revois les courts-métrages que j’ai réalisés en revenant en Thaïlande pour la première fois, cela me donne une idée assez précise de qui j’étais à ce moment-là.

Diriez-vous que vous êtes comme Ton, le personnage de Wonderful Town, un homme de la ville qui ressent le besoin de tranquillité, de calme ?

Oui, bien sûr. Le personnage de Ton est une représentation de moimême. Pour simplifier, Ton fait le voyage vers le sud pour prendre des vacances loin de son existence de citadin, de la pression de la ville. J’ai même pensé un moment appeler le film Holyday (Vacances). Je crois que le processus qui pousse les citadins arrivés à un certain point de lassitude à chercher à faire une pause est tout à fait normal. C’est à ce moment-là que l’on cherche à partir au loin. Mais pour Ton, cela ne se passe pas exactement comme il l’avait prévu.

Vous avez étudié quelques années aux Etats-Unis, vous y avez tourné des films. Que retenez-vous de cette expérience ?

Je n’ai pas fait qu’apprendre… Si vous allez y vivre un an ou deux, alors vous pouvez dire que vous y avez appris quelque chose. Mais j’y ai habité 12 ans. Cela va au-delà de l’apprentissage. Je crois que je suis un américain. Et quand je me trouve en Thaïlande, je ne m’y sens pas vraiment à ma place. Et pourtant, aux Etats-Unis, je me sens profondément thaïlandais. Ce phénomène, ce mode de vie, est très répandu aujourd’hui. Il est devenu difficile de dire d’où l’on vient précisément... L’identité est devenue une notion vague.

A quel moment vous est venue l’idée de Wonderful Town ? Juste après le tsunami ?

Wonderful Town m’est d’abord apparu sous la forme d’une histoire d’amour. Je suis toujours intéressé par les gens, leurs relations, leurs amours, parce que c’est le sentiment dont on se souvient le plus clairement. Je n’ai jamais eu l’intention de faire un film sur le tsunami. Mais en tant que réalisateur, je suis très influencé par les lieux. J’ai besoin de me trouver sur place pour penser à une histoire, sinon je n’y arrive pas. C’est pourquoi je suis allé visiter la ville de Takua Pa et je me suis dit « quel endroit intéressant pour que se crée une histoire d’amour entre deux étrangers ». La ville a quelque chose de triste en elle. Et j’ai pensé que le contraste entre cette tristesse et la vitalité d’une histoire d’amour serait intéressant. C’était cela l’idée principale. Je n’ai ajouté le contexte du tsunami que plus tard.

Comment avez-vous choisi le titre ? En quoi cette ville est-elle selon vous « merveilleuse » ?

Je pense qu’elle l’est. Chaque espace, chaque lieu, possède une atmosphère particulière. Celle de Takua Pa est puissante : une atmosphère de tristesse, de vieillissement et de calme. Et je pense que l’ambiance d’une ville est en grande partie créée par son histoire. Et bien sûr, l’événement le plus récent dans l’histoire proche de la ville est le tsunami. C’est une tragédie mais heureusement le temps guérit toutes les blessures.

Les interprètes de Na et Ton possèdent une certaine fraîcheur réaliste. Sont-ils des comédiens professionnels ?

Non, nous avions un budget très serré, ce sont donc des inconnus. L’acteur principal est musicien dans un bar et l’actrice est guide touristique. Mais je suis convaincu qu’ils ont été très bons. Etre vrai n’a rien à voir avec le fait d’être un acteur professionnel ou non.

Vous mettez en parallèle une scène de baiser entre les deux amants et une scène avec la mer. Est-ce le coeur de votre histoire ? La mer au centre de tout ?

Pour moi, la scène de la mer est un moyen de créer le sentiment que le tsunami est toujours présent dans la mémoire de la jeune femme. L’histoire se passe un an après la tragédie mais le souvenir est toujours gravé dans sa mémoire. Il est toujours présent d’une façon ou d’une autre, même s’il ne l’est pas, ou plus, physiquement.

Parlez-nous du travail sur le son. Au début du film, lorsque vous filmez la mer, le son est mélangé à d’étranges et inquiétants bruits métalliques presque « industriels ». Est-ce dans l’intention de décrire la mer comme une menace qui plane ?

Pour cela je dois remercier l’ingénieur du son. Il travaille beaucoup avec ce genre de sons. Il les a essayés dans le film et cela semble fonctionner. Ces sons mêlés sont selon moi une manière de rendre l’ambiance sonore paradoxalement « plus vraie ». Ils donnent l’impression d’être dans le vrai. Mais c’est assez dur à expliquer : c’est comme expliquer à quelqu’un pourquoi quelque chose a bon goût ou pourquoi certaines couleurs vont bien ensemble. Je suis peut-être paresseux mais je pense que ce n’est pas important de savoir pourquoi. C’est même plutôt une mauvaise idée. Il n’est jamais bon de laisser son cerveau se mettre dans le chemin de son instinct.

Votre film traite aussi de la construction et de la reconstruction, dans un dialogue permanent entre les bâtiments et les personnes, qui portent, les uns comme les autres, des blessures.

Oui, je pense que c’est comme cela que je voyais les choses au début, quand j’ai eu l’idée de faire ce film. Quand les gens voient le résultat final et qu’ils utilisent des mots comme « renaissance » et « reconstruction », ils cherchent à exprimer cette chose que j’ai ressentie en premier lieu.

Est-ce que le gouvernement thaïlandais soutient un cinéma comme le vôtre ?

Oui, mais de façon très limitée. A ce sujet, la Thaïlande ressemble beaucoup aux Etats-Unis : l’Etat ne subventionne presque pas les arts. Cette ligne politique mène à la production d’oeuvres qui se doivent de survivre dans une logique commerciale. Cela mène à la production d’un certain type d’art.

Un de vos projets s'intitule High Society, pouvez-vous en parler ?

High Society traite de personnes qui ne sont chez elles nulle part. Les personnes qui ont du mal à trouver leur identité. Ils ont grandi et habité dans tellement de pays différents et au coeur de cultures si différentes qu’ils ne viennent d’aucun endroit précis. On peut dire qu’ils sont chez eux partout ou alors nulle part.

Vous êtes aussi producteur, avec deux associés. Quels films produisez-vous ? Aimeriez-vous produire les films de certains de vos amis et collègues, tels Apichatpong Wheerasethakul et Pen-ek Ratanaruang ?

Ces deux-là n’ont clairement pas besoin de mon aide ! Ils se débrouillent très bien tous seuls. Je possède une petite maison de production à Bangkok. C’est une bonne chose de posséder une entreprise car tout d’un coup, on est confronté aux réalités comme le loyer, les frais généraux et les salaires à payer. Cela permet de ne pas devenir trop égocentrique. Le trait de caractère le plus courant chez les réalisateurs que je connais est l’égocentrisme, l’égoïsme. Avoir des gens qui dépendent de vous vous évite de devenir trop égocentrique. En tant que producteur, j’aimerais donc, un jour, aider mes assistants à réaliser leurs propres films, parce qu’ils sont tous eux-mêmes réalisateurs. A quoi sert la production si ce n’est à aider d’autres personnes à raconter leurs histoires ? C’est tout ce que je veux faire.