
Pedro Almodóvar
Réalisation - Scénario - ProducteurBiographie
Cinéaste underground et loufoque au début des années 80, du temps de la Movida, Almodovar a évolué vers une forme de classicisme raffiné, sans perdre sa liberté de ton, ni son art de toucher la chair et l’esprit du spectateur, avec des récits aussi extravagants que bouleversants.
Pedro Almodovar est avant tout un inventeur d’histoires, signant tous ses scénarii. Mais sa vie irrigue ses films. Ses origines populaires et son enfance dans la Manche, où il est né en 1949, ses années de collège chez les Pères Salésiens (qui l’ont dégoûté à jamais de la vocation religieuse), la cinéphilie solitaire et éblouie de son adolescence, sa vie débridée dans le Madrid de la Movida, au tournant des années 70, sont une toile de fond sur laquelle il brode ses fictions enchevêtrées.
Débarquant à Madrid en 1967, il tisse des liens avec tout un monde underground, où se mêlent artistes pop et punks, intellectuels, gays et travestis, amateurs de drogues douces et dures… Gagnant sa croute à la Téléfonica, la compagnie nationale de télécommunication, il réalise Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier (1980) entre les heures de bureaux, les week-ends, la nuit. Dans cette histoire où Carmen Maura assouvi une vengeance contre le flic qui l’a violé, éclate une énergie pop, un ton moins provocateur que rieur et libre.
Du déjanté et hilarant Labyrinthe des passions (1982) au mélodrame loufoque Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça (1984), les premiers films d’Almodovar sont marqués par une esthétique pop, un style saccadé, où se croisent références cinéphiles (de Cukor au néo-réalisme italien en passant par le cinéma de Fassbinder) et culture populaire (le détournement de spots publicitaires).
Mais déjà se dégage ce qu’il y a de plus constant et de plus touchant chez le cinéaste : une vision du monde où marginalité et norme –apparente- se mêlent dans un grand magma émotionnel. Dans son misérable F2 de la banlieue madrilène la mère de famille est l’amie intime de la prostituée (Qu’est-ce-que j’ai fait pour mériter ça ?), la mère supérieure d’une étrange communauté de nones est héroïnomane et amoureuse d’une chanteuse de boléro (Dans les ténèbres, 1983)… C’est aussi dès ces premiers films que se soude autour du réalisateur une famille artistique fidèle, les comédiens Carmen Maura, Antonio Banderas, Chus Lampreave (double au cinéma de la mère du réalisateur), Cecilia Roth...
Après Matador (1986), film abstrait, variation en rouge et or sur les relations du désir et de la mort, Almodovar fonde avec son frère cadet Augustin sa propre société de production, El Deseo. Le premier chapitre de cette nouvelle aventure, La Loi du Désir (1987) marque un tournant, la narration est plus fluide, la sensualité plus affirmée. Mettant en scène un double de lui-même, le réalisateur Pablo Quintero (Eusebio Poncelo), Almodovar s’abandonne à une sentimentalité à la fois tragique, kitsch et profondément sincère…
Retour vers la comédie, Femmes au bord de la crise de nerf (1988) où l’on découvre le fascinant profil de Rossy de Palma, consacre le réalisateur en Espagne et à l’étranger : emportant cinq récompenses au Goyas (version espagnole des Oscar), il est nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger… qui lui échappe finalement. Délaissant son actrice fétiche, Carmen Maura, Almodovar tourne Attache-moi (1990) avec Victoria Abril et Antonio Banderas dont il scrute la beauté et le pouvoir d’attraction à travers une curieuse intrigue : l’histoire d’un jeune homme paumé, désireux de fonder famille, et qui, pour assouvir ce rêve séquestre la femme dont il est amoureux.
Tout vibrant de désir, d’émotions exacerbées, le cinéma d’Almodovar depuis les années 90 déploie avec virtuosité des thèmes présents dans Attache-moi : la solitude et le besoin de famille, le désir et la transgression, le retour au village natal vu comme une réconciliation avec soi-même. La démesure des sentiments, les couleurs flamboyantes, la fascination pour le spectacle et le goût du clinquant demeurent mais ces motifs se coulent dans une forme plus lissée. Et, alors que Francisca Caballero, la mère très chérie du réalisateur, meurt en 1999, apparaît dans son œuvre une réflexion sur le lien des vivants et des morts. Tout sur ma mère où Cécilia Roth incarne une mère en deuil de son fils, emporte l’Oscar du meilleur film étranger, et à Cannes le prix de la mise en scène.
Développant ses intrigues entrelacées dans une mise en scène très maîtrisée, Parle avec elle (2002) est une magnifique histoire d’amour, de mort et de résurrection, contée du côté des hommes cette fois. La Mauvaise éducation (2004), film le plus autobiographique du réalisateur revient, à travers les dédales d’une fiction complexe, sur ses années de collèges chez les Pères. Cérébral, froid et sombre, il rencontre un accueil mitigé.
Critiques et public sont plus enthousiastes pour Volver (2006) où Penelope Cruz, madone sexy de la banlieue madrilène se retrouve avec le cadavre de son mari sur les bras. Film du retour, vers le village de l’enfance, et ses familles composées de mères, de filles, de sœurs, Volver est hanté par le cinéma passé d’Almodovar, qui donne à Carmen Maura, sa complice de jeunesse, le rôle d’un vrai fantôme. C’est à nouveau Penelope Cruz qui irradie de sa présence le dernier film du réalisateur, Etreintes brisée (2009), film noir, où le roman d’amour se conjugue au passé, dans un labyrinthe de flash-backs. Une fois encore, le film est un rendez-vous du cinéaste avec ses œuvres d’autrefois (avec notamment la réinvention d’une scène de Femmes au bord de la Crise de Nerf). Comme si Almodovar, créateur et marionnettiste d’un univers fictionnel foisonnant était désormais lui-même emboîté dans son propre théâtre.
Véronique Cohen