Bertrand Tavernier

Premier rôle - Réalisation - Scénario

Biographie

Réalisateur français, né à Lyon en 1941.
Monté à Paris après la guerre, Bertrand Tavernier cofonde le ciné-club Nickel Odéon et collabore à différentes revues, notamment Positif et Les Cahiers du cinéma. Il travaille comme attaché de presse pour le producteur Georges de Beauregard puis en indépendant. Passionné par le cinéma américain, il publie un recueil d’entretiens et plusieurs livres de référence (Amis américains : entretiens avec les grands auteurs d'Hollywood et 50 ans de cinéma américain) sur le sujet. Son premier long-métrage, L’Horloger de Saint-Paul, reçoit l’Ours d’Argent à Berlin en 1974. Suit une œuvre riche de plus de vingt-cinq longs-métrages, de genres très variés : films d’époque (Que la fête commence !, Autour de minuit, La Vie et rien d’autre), films policier (L.627, L’Appât) ou plus intimiste (Un dimanche à la campagne, Daddy nostalgie). Ses films ont été récompensés par de très nombreux prix en France et à l’étranger.

Des Tavernier, il y en a eu plusieurs, successivement, dont les différentes activités, toutes centrées sur un amour du cinéma porté à son plus haut degré, se sont fondues en un seul personnage. Ainsi, entre 1960 et 1972, il y a d'abord eu le "vrai cinglé de cinéma", fondateur, avec quelques complices de son calibre, d'un ciné-club pour fanatiques, le Nickelodéon. Il y eut ensuite le critique qui collabora à toutes les revues spécialisées sans exclusive. Il y eut, presque par accident, le réalisateur de courts métrages (deux), tentative sans lendemain. Il y eut, plus longuement, l'attaché de presse, à un moment où la profession n'existait pas encore vraiment, et qui, avec son ami Pierre Rissient, assura avec enthousiasme la sortie de maints films américains. Il y eut l'historien érudit, auteur en 1970 de 30 ans de cinéma américain, ouvrage de références que viendra compléter 50 ans de cinéma américain, puis en 2008 Amis américains.

Et puis il y eut, en 1974, le réalisateur de longs métrages, activité qui rassembla en une seule toutes les casquettes jusque-là portées : le fanatisme, l'érudition, et la capacité d'assurer la promotion des films, en l'occurrence les siens. Un cinéaste était né, qui allait rapidement intégrer le petit groupe des réalisateurs français de premier plan, ceux qui parviennent à allier accueil critique (même si certains persistent à persifler) et succès public.

L'Horloger de Saint-Paul, son premier titre, est un modèle d'adaptation (signée Jean Aurenche & Pierre Bost) de Simenon, roman américain transféré à Lyon avec une finesse et une attention remarquables. Tavernier y réunissait Philippe Noiret et Jean Rochefort, tandem de choix qu'il reforma immédiatement pour Que la fête commence (1975), recréation ambitieuse du XVIIIe siècle, foisonnante et emportée, qui lui valut le César du meilleur réalisateur.

L'année suivante, Le Juge et l'Assassin, reconstitution précise d'une affaire criminelle dans l'Ardèche du XIXe siècle, prouva qu'il pouvait passer, avec la même aisance, d'un genre et d'une période historique à l'autre. Cette facilité d'imprégnation et de restitution d'une époque, Tavernier la cultivera constamment, refusant de se fixer dans une catégorie – comme Alain Corneau, son contemporain, confiné dans le polar et le film d'action, avant de pouvoir tourner Nocturne indien -, alternant intimisme (Des enfants gâtés, 1977) et science-fiction (La Mort en direct, 1980), drame psychologique sur fond de chronique sociale (Une semaine de vacances, 1980) et reconstitution rigolarde, en forme de jeu de massacre, d'un village africain et de ses coloniaux dans les années 30 (Coup de torchon, 1981).

À chaque fois, le succès public vient confirmer les diverses récompenses obtenues (prix Louis Delluc, prix Méliès, César). Ce qui n'empêche pas le cinéaste, histoire de ne pas rester enfermé dans la fiction, de franchir en 1983 l'Atlantique pour aller tourner, dans le Sud des États-Unis et en compagnie du réalisateur Robert Parrish, Pays d'octobre, journal savoureux d'une exploration du pays de naissance du blues, le Mississipi.

Ce retour au documentaire, façon de se retremper plus fortement dans un réel qu'il n'oublie jamais dans ses fictions, Tavernier le pratiquera régulièrement : Mississipi Blues succède à Philippe Soupault et le surréalisme (1982) et sera suivi de Lyon, le regard intérieur (1989), ode chaleureuse à sa ville natale, de La Guerre sans nom (1992), recueil de témoignages déchirants d'anciens appelés en Algérie, puis d'un documentaire télévisé, De l'autre côté du périph', filmé en 1997 pour répondre aux accusations d'un ministre qui l'accusait de ne pas être concerné par le problème des banlieues, avant qu'il ne porte le fer sur un des scandales des prisons françaises, en réalisant Histoires de vies brisées : les "doubles peines" de Lyon (2001).

Son désir d'alternance continuera de s'exercer : après Un dimanche à la campagne (1984), adaptation exemplaire d'un roman de Pierre Bost, évocation de la Belle Époque qui donne à Sabine Azema un de ses plus beaux rôles, il tourne Autour de minuit, amitié, dans le Paris des années 50, entre un jazzman à bout de course (le saxophoniste Dexter Gordon) et un jeune amateur – un des rares films français sur le jazz qui résonne de façon authentique. Lequel précède La Passion Béatrice (1987), drame de famille sanglant au cœur d'un Moyen Âge qui ne doit rien à l'imagerie habituelle, échec public immérité dont la beauté et la puissance n'apparaîtront que plus tard. Suivront une série de succès, de la recréation réussie d'un épisode inconnu, l'identification des cadavres découverts plusieurs années après la Grande Guerre, un des quelques "rôles de sa vie" pour Philippe Noiret (La Vie et rien d'autre, 1989) à L 627 (1992), première incursion dans le polar, film de commissariat, exalté et pessimiste, tourné caméra à l'épaule, en passant par l'élégie filiale de Daddy nostalgie (1990), relation déchirante entre Jane Birkin et son "père" Dirk Bogarde, celui-ci dans son ultime apparition.

À l'image de ses modèles hollywoodiens, Tavernier, tout en gardant la maîtrise de ses thèmes, s'attache à filmer de la façon la mieux adaptée à son sujet : galopades échevelées de La Fille de d'Artagnan (1994), réalisme peu soutenable du fait divers crapuleux de L'Appât (1995, Ours d'or à Berlin), dénonciation de l'héroïsme guerrier de Capitaine Conan (1996) où il retrouve la manière d'Allan Dwan ou de William Wellman. Si l'on demeure moins convaincu par Ça commence aujourd'hui (1999), tableau un peu démonstratif des conditions difficiles des enseignants du primaire, sa reconstruction dans Laissez-passer (2002) des milieux du cinéma français sous l'Occupation (qu'il connaît aussi précisément que le cinéma américain) est irréprochable, et Jacques Gamblin y incarne le cinéaste Jean Devaivre de façon mémorable.

En revanche, Holy Lola (2004) peine à faire décoller un sujet contemporain délicat, celui de l'adoption d'orphelins du Tiers-Monde, comme s'il n'avait pas su trouver sa respiration en pays lointain. Pourtant, cinq ans plus tard, il réalise en Louisiane un de ses plus beaux titres, avec l'adaptation du roman de James Lee Burke, Dans la brume électrique, remarquable polar à multiples fonds digne de ses "amis américains", sommet d'une carrière toujours en devenir, comme la récente Princesse de Montpensier (2010) l'a montré.

Lucien Logette