Michel Piccoli

Premier rôle - Réalisation

Biographie

Sa carrière exceptionnelle est placée sous le signe d'une seule règle, la liberté. Il n'a d'ailleurs pas d'agent (le seul à son niveau, en France ?), ce qui lui permit, au faîte de sa popularité (dans les années 70), de tourner ce qu'il voulait sans restriction en laissant souvent la question de sa rémunération à la périphérie du travail (dans un système de "participation" à la production du film) et ainsi de réaliser, à près de 70 ans, son premier long métrage comme metteur en scène (Alors, voilà : au titre explicite et aussi mystérieux que son contenu) suivi de deux autres, tout aussi personnels (La Plage noire-2001, adaptation d'un roman de François Maspero et C'est pas tout à fait la vie dont j'avais rêvé-2005)

Né en 1925 de parents musiciens, Michel Piccoli a d'abord été un passionné de théâtre, ignorant le cinéma. Il joue pour ce qu'on appelle alors "l'avant garde" : Dullin, Artaud, Jouvet, Vilar, J.M. Serreau... Il tourne quelques films, parce que le cachet était sans commune mesure avec celui du théâtre, mais son premier essai, Le Point du jour, de Louis Daquin, film à résonnance politique (communiste) est un échec public et les suivants (des films plus commerciaux, Rafle sur la ville, La Bête à l'affût...) le classent comme "vedette de catagorie C, et, dit-il, tout s'est effondré très vite".

C'est à la télévision qu'il trouve une complicité de jeu avec la caméra en tournant pour des cinéastes qui croient alors que la création peut s'exercer sur ce nouveau média et c'est le Dom Juan mis en scène par Bluwal qui, soudain, fixe de Piccoli une première image, aussitôt définitive, celle du séducteur. Une image qu'il va peaufiner et à démultiplier sous des angles infinis dans des films très divers et toujours passionnants (Belle de jour de Bunuel, Benjamin ou les mémoires d'un puceau en 1968, puis en 1984 Péril en la demeure de Michel Deville -deux de ses plus grands succès-, La Chamade d'Alain Cavalier jusqu'à l'incarnation du peintre dans La Belle noiseuse de Jacques Rivette, ou la séduction s'exerce, aussi, à travers le geste artistique).

La variante la plus fascinante de cette "ligne" est évidemment dans la prise à revers de cette image. La subversion d'une image par l'icône elle-même procède du sacrilège, mais au cinéma l'effet est "libérateur", et d'autant plus que l'idole est sacralisée par le public. Piccoli, comme Mastroianni, comme Deneuve et quelques autres, au lieu de ne porter qu'un seul masque, en revêt plusieurs, simultanément, si le cinéaste crée autour de lui un environnement propice : c'est ainsi qu'il traverse les oeuvres poétiques de Godard (Le Mépris, avec son chapeau dans la baignoire), de Ferreri (suicidaire magnifique dans Dillinger est mort et La Grande bouffe), de Demy (versant doux de l'amoureux désespéré dans Les Demoiselles de Rochefort où il est "Monsieur Dame", et versant furieux dans Une chambre en ville où il s'égorge avec un rasoir devant celle qui le repousse); il atteint l'expérimentation du jeu (dans Themroc de Claude Faraldo, il ne s'exprime que par cris et grognements, comme tous les acteurs du film) avec un plaisir communicatif qui rejoint les exercices de bouffonnerie qu'il tire vers la monstruosité (avec Francis Girod, Le Trio infernal, René la canne...), le tourment psychologique (avec Doillon, La Fille prodigue, La Puritaine...) ou l'abstraction vers laquelle l'entraîne Michel Deville dans Le Paltoquet.

Comme dans ce dernier film, très souvent, les plus grands cinéastes l'ont utilisé tel un double d'eux-mêmes, en alter ego, ce qui laisse aussi supposer que la liberté créative de leur interprète répondait à leur désir de création sans contraintes. Piccoli est alors devenu "star" dès lors qu'on pouvait le voir défait, lâche, grotesque, pathétique, inquiétant... Un paradoxe qui rassure les spectateurs.

Ses films les plus étranges n'ont eu aucun succès, tel Grandeur nature de Berlanga où, en 1974, il est amoureux d'une poupée gonflable, mais par contraste, lorsqu'il incarne un personnage plus "raisonnable" le public en perçoit toute la folie ou la colère sous jacente, ce qui fit la force des films qu'il tourna alors avec Claude Sautet et dont le succès alla en grandissant, véritables triomphes populaires : Les Choses de la vie (1969), Max et les ferrailleurs (1971), Vincent, François, Paul et les autres... (1974), jusqu'à l'échec du très noir Mado (1976). La richesse de la carrière de Piccoli acteur est particulièrement exceptionnelle, prolongée sur scène, dans sa huitième décennie, par ses incursions chez Guitry (La Jalousie) autant que chez Shakespeare (Le Roi Lear).

On ne s'étonnera donc pas d'avancer dans ses trois films de réalisateur en terrain particulièrement dépaysant. Piccoli n'ayant plus rien à prouver, les a conçus comme de purs moments de cinéma, déconnectés de toute notion d'époque, de carrière ou de commerce. Des films inclassables, forcément, dont il est même déconcertant de parler, puisqu'il faut, pour eux, trouver un autre langage et une autre façon de les regarder.

Philippe Piazzo

Filmographie (1)