Rachid Bouchareb

Producteur - Réalisation

Biographie

Des histoires, Rachid Bouchareb rêve d'en raconter depuis l'enfance. Alors, plutôt que de devenir tourneur-fraiseur comme le prédestinait son CAP, il tourne des films où il convoque le réel. Portrait d'un gamin de Bobigny qui, de New-York ("Little Sénégal") en Malaisie ("Poussières de vie"), en passant évidemment par l'Algérie ("Cheb", "Indigènes"), raconte des histoires universelles. Pour mieux raconter la sienne ?

Au moment de la sortie d’Indigènes, la silhouette fluette, le visage anguleux et les mots au compte-goutte de Rachid Bouchareb créaient un étonnant contrepoint à côté de la tchatche supersonique et du look branché de Jamel, Samy, Roschdy et les autres. Comme si le cinéaste incarnait, physiquement, l’homme de l’ombre. Celui qui a tout imaginé, en amont, loin des projecteurs. Et qui ne s’étonne pas outre-mesure du succès de son entreprise. Aujourd’hui, il dit de son dernier long-métrage qu’il a été conçu comme « un film de guerre classique », capable de donner au public un plaisir attendu. En somme, un cousin français du film de Spielberg, Il faut sauver le soldat Ryan. La raison ? « C'était un sujet trop important : je voulais qu’il soit vu par des millions de gens ». Objectif atteint avec près de deux millions d’entrées en salle.

L’autre défi que s’était fixé le réalisateur a, lui aussi, été remporté : Indigènes restera dans les mémoires comme le film qui a réparé une injustice, vieille de quarante-cinq ans. L'ex-président Jacques Chirac s’est en effet engagé à remettre à niveau les pensions de 80 000 anciens combattants de l'ex-empire français. « On allait gagner, j’en étais sûr », commente Rachid Bouchareb qui revient tout juste de Londres où il présentait  Indigènes, à l'occasion de sa sortie outre-Manche. Il en a profité pour appeler le Premier ministre Tony Blair à se pencher, à son tour, sur le sort des Gurkhas, ces soldats indiens qui ont servi sous le drapeau britannique.

Coup double à Cannes en 2006

Bousculer la réalité, ressusciter une mémoire passée sous silence, combattre les discriminations à coups d’images… Le cinéma de Rachid Bouchareb est « engagé, militant, porteur d’idées ». Bref, glisse-t-il, « du cinéma tout court ». Qui monte au front, avec une audace réfléchie. Au sujet d’Indigènes, il dit : « Le terrain était préparé : cela fait des années que les anciens combattants venus d’Afrique et du Maghreb écrivent des lettres pour obtenir justice. Et puis, il y avait l’élection présidentielle…C’était le bon moment. Avec les acteurs, dès le début, on avait fait un pacte. On savait ce qu’on voulait, on y est arrivés.» Et quand on évoque Cheb, son second long-métrage, qui met en scène un jeune homme, expulsé hors de France et envoyé en Algérie, victime de la double peine, il convoque immédiatement le réel : « J’ai fait le film en 1991 et la double peine a été abolie en 2005. La preuve qu’il ne faut jamais décourager quand on s’engage. Il y a toujours de l’espoir…»

Pour se donner les moyens de la lutte, Rachid Bouchareb a créé, à la fin des années 80, sa propre société de production, 3B (1), avec Jean Bréhat, qui était déjà régisseur adjoint sur Bâton rouge (1985), le premier long-métrage du réalisateur, et Jean Bigot, désormais parti pour d’autres horizons. « Je n’avais plus envie de perdre de temps à courir derrière des financements pas toujours au rendez-vous, vu les sujets qui sont les miens », explique Rachid Bouchareb. Résultat, 3B a fait coup double au festival de Cannes 2006, avec le Prix d’interprétation collectif pour les acteurs d’Indigènes et le Grand Prix spécial du jury pour Flandres de Bruno Dumont dont le cinéma coup de poing est soutenu, depuis ses débuts, par la maison de production. Ce qui n’empêche pas Rachid Bouchareb de plébisciter, comme spectateur, Casino, Autant en emporte le vent ou Les Bronzés font du ski… Des histoires de maffieux, de riches héritières en crinolines ou de potes dopés à la liqueur d’échalotes, mais des histoires. Il rêve d’en raconter depuis l’enfance, depuis que la lumière aveuglante des westerns de Sergio Leone lui en a mis plein la vue. Alors, il force le destin : il ne sera pas tourneur-fraiseur, comme l’y prédestinait son CAP. Mais tourneur…de films. Après être parvenu à s’inscrire au Centre de recherche des images et du son (Ceris), il commence par travailler pour la télévision, avant de gagner le grand écran.

Son premier court-métrage, Peut-être la mer (sélectionné au Festival de Cannes en 1983) met en scène l’histoire de deux gamins du Nord de la France qui tentent d’embarquer clandestinement sur un paquebot pour l’Algérie. Son premier long, Bâton rouge, raconte l’épopée de trois copains qui mettent les voiles, direction la Louisiane, à la conquête de leur Amérique à eux. Emmenez-moi au bout de la terre. Rachid Bouchareb a beau avoir grandi à Bobigny, en région parisienne, il filme les trottoirs de New-York (Little Sénégal), les dunes dorées du désert algérien (Cheb), la verte moiteur de la jungle malaisienne (Poussières de vie). Au sujet du tournage de ce dernier, en Malaisie, avec des enfants nés de pères américains et de mères vietnamiennes, il dit : « Je ne comprenais pas la langue, mais je ne me sentais pas du tout perdu aux côtés de ces enfants métisses »

« Tu crois que tu es le seul être humain ici ? »

Lui qui est né en France de parents algériens, se sent une « proximité immédiate » avec tous ceux qui, comme lui, sont le fruit d’une double culture. Sûrement est-ce pour cela qu’il n’a de cesse d’envoyer son cinéma voir ailleurs s’il y est, à la rencontre d’autres mondes, d’autres réalités. Sûrement est-ce pour cela qu’il aime le Nord de Bruno Dumont (La Vie de Jésus) ou d'Edwin Baily (Faut-il aimer Mathilde ?) comme le Vietnam de Minh Nguyen-Vo (Gardien de buffles), le Liban de Ziad Doueiri (West Beyrouth) ou encore l’Albanie de Kujtim Cashku, des auteurs dont il a également produit les films.

Sûrement est-ce pour cela qu’il est question, chez Rachid Bouchareb lui-même, de la façon dont l’Histoire façonne nos identités, de l’héritage de la colonisation, de la place qui est celle des enfants d’immigrés, ici et ailleurs. Et aussi d’ouverture, de rencontre, de connaissance. De reconnaissance. Dans Little Sénégal, l’Africain Alloune (Sotigui Kouyaté) interpelle Idda (Sharon Hope), sa cousine afro-américaine qu’il est venu retrouver à New-York : « Pourquoi tu me parles comme ça ? Tu crois que je suis un singe ? » Fascinant géant porteur d’une sagesse immémoriale, il pose la question que trimballent avec eux ces films en forme de voyage vers l’autre : « Tu crois que tu es le seul être humain ici ? » Et quand l’Africain Alloune et l’Américaine Idda finissent par s’enlacer, peau contre peau, on a le sentiment de voir s’incarner la rencontre de deux continents. Par la grâce de retrouvailles, enfin apaisées, avec cet autre qui cesse soudain d’être un étrange étranger. Pour devenir ce qu'il n'aurait jamais dû cessé d'être : ce semblable avec lequel fonder une humanité commune.

Marjolaine Jarry