Sa carrière, qu’en jeune fou il a d’abord sabotée, s’est bonifiée avec les années. Un portrait savoureux de l’acteur et producteur Harvey Keitel.  
"Quand j’avais 17 ans, j’étais un petit salaud, complètement fêlé", dira le personnage, autobiographique, qu’il interprète dans Smoke de Paul Auster et Wayne Wang. Longtemps, Harvey Keitel ne s’est pas senti à sa place. Issu d’une famille juive pauvre de Brooklyn, il est élevé par un grand-père strict qui lui inculque la religion et la pudeur. Tenaillé par le doute, le jeune Harvey préfère à la synagogue les attractions de Coney Island. Puis il apaise ses conflits intérieurs en allant au cinéma. Surnommé "le blasphémateur", il crache par bravade sur les mézouzas de son quartier. Mais à l’inverse, lorsque ce jeune homme à la dérive s’engage trois ans dans les marines, il exhibe l’étoile de David dans les pays arabes. L’occasion aussi pour lui de barder d’une solide musculature ce corps qui l’embarrasse. Miraculeusement, un cours de théâtre où il rencontre Lee Strasberg, le futur pape de l’Actors Studio, lui révèle sa vocation de comédien. Puis il croise Martin Scorsese, son double catholique grandi à Little Italy, avec lequel l’entente est immédiate. Le cinéaste prometteur en fait son alter ego, et le dirige dans Who’s that Knocking at my Door, puis dans Mean Streets, aux côtés de Robert De Niro. Le film triomphe mais, bizarrement, Harvey Keitel choisit de s’effacer derrière son confrère et ami, déclinant ainsi le premier rôle de Taxi Driver. Alors que le duo Scorsese/De Niro enchaîne les succès, ce perfectionniste agace les réalisateurs par ses questionnements incessants, et sa cote à Hollywood plonge.  

Retour en grâce 
Parsemé d’archives savoureuses, ce film explore la carrière en dents de scie d’un immense acteur miné par un sentiment d’illégitimité, qui s’est d’abord sabordé lui-même avant de trouver sa voie hors du cénacle hollywoodien. Si le film Bad Lieutenant d’Abel Ferrara, sorti en 1992, marque son retour en grâce, Harvey Keitel s’est aussi épanoui dans le cinéma d’auteur en tournant notamment La mort en direct de Bertrand Tavernier. Homme des premiers films, il a eu le flair de coproduire ceux de Paul Auster et de Quentin Tarantino. De nouveau estimé par les plus grands réalisateurs hollywoodiens, il s’offre une fin de carrière classieuse avec des rôles sur mesure. Aujourd’hui apaisé, il illumine ce portrait, nourri de plusieurs de ses interviews, par sa spontanéité, son ouverture d’esprit et l’humilité avec laquelle il a apprivoisé ses fêlures.

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