" Dès le début, c'est une histoire d'intimité. Voilà un homme inerte, recroquevillé sur un canapé. C'est la première couleur du film (...) sans trancher tout de suite, la caméra doucement le caresse, au féminin, comme une mère sur la joue de son fils ou comme une veuve passant une dernière fois ses doigts dans les cheveux d'un cadavre. Juste après,
Intimité commence, le corps s'ébroue, prend nom (Jay), parle une langue (l'anglais), habite une ville (Londres), exerce une profession (barman), décline une identité (divorcé, deux enfants), se mêle, au physique comme au moral, avec d'autres corps, bref, devient un organisme. Soulagement. Mais l'empreinte de cette première lumière sourde hantera à jamais l'avenir du film, ce corps-mort qui, comme dans le vocabulaire marin, désigne un point d'ancrage à la fois fixe et flottant.
Cette exposition préliminaire est comme un fantôme fondamental : cet homme vient de là, il y retournera un jour, et nous aussi. Et c'est à cette condition impérieuse, à la fois apaisante et terrorisante, que l'histoire va avoir lieu (...)
... l'accident de leur rencontre est singulier, à la fois rituel (tous les mercredis), quasi muet (hello-goodbye) et strictement sexuel: étant donné le cortège d'affects que le mot et l'acte emportent avec eux dans la culture occidentale, on ne peut pas écrire qu'ils font l'amour. Leur geste unique est de baiser énormément, intensément, follement, comme dans une utopie.
Intimité est un film politique. L'âge de ses protagonistes (la quarantaine) suffit à indiquer qu'ils arrivent de loin, d'un rêve ancien où la révolution sexuelle aurait ouvert la porte à d'autres libertés. Loin des repentances de saison, Patrice Chéreau ne porte pas le deuil de ce rêve, il le combine autrement, fort de tout ce qu'il sait pour l'avoir lu, entre autres, dans le roman éponyme de Hanif Kureishi, lesté de tout ce qu'il a vécu (que sont ses amis devenus?), mais surtout transporté par tout ce qu'il ne sait pas encore et que l'on apprend avec lui, pas à pas, au fil du film. Le rêve d'amour résiste. Car entre Jay et Claire, l'accident n'est pas mortel, les voilà rescapés, encore groggy du bonheur d'avoir survécu, accidentés à coup sûr, mais bien vivants. Intimité ne dit pas que la connaissance par les corps ne suffit pas ou que le fracas des anatomies ne porte pas à conséquence. Il montre au contraire qu'un autre genre de connaissance est possible, compatible sans être concurrentielle (...)
Intimité n'est pas le plus beau film de Patrice Chéreau. Il est enfin, après sept essais, son premier film. Celui où il regarde par le trou de la caméra. Nettement plus regardant que voyeur. Ce qui fait que dans les scènes dites de sexe explicite, la question de la pornographie ne se pose pas. Contrairement à la majorité du cinéma français où la gêne induit la sauvette (vite fait, mal filmé), l'insistance de Chéreau induit une opacité esthétique de premier ordre, jusqu'à ce moment de grâce où le baiser d'Intimité renvoie au Baiser de Rodin ."