Que ce film de Jean Renoir est formidable ! La comédie humaine a trouvé son maître, plus encore, son metteur en scène ! Alors que l’immense Guitry racontait sa vie sur les planches et devant la caméra, Renoir plus ambitieux, élargit l'horizon et raconte l'humain en empruntant lui aussi au théâtre son Vaudeville, pour sublimer l'incroyable pellicule de notre vacuité. Époustouflants plans séquences qui voient tous les convives de Renoir se croiser et se recroiser dans les allées et les couloirs d'un manoir, l'un cherchant à confondre sa femme, un second, à capturer l'être désiré, et d'autres encore se contentant, enivrés par ce ballet de vanités, de suivre la farandole de la vie.
Nous sommes en 1939 et Jean croque avec un mélange de fatalisme et d'ironie, l’insouciance qui prévaut à quelques battements d'ailes de la guerre. Dans un autre registre" Fric-frac" étonnait lui aussi par sa partie de campagne où malgré les déambulations champêtres de Simon, Fernandel et Arletty, on pressentait là, caché dans le silence, le drame.
Renoir n’aime pas les noms à particule mais son humanisme ou son empathie les protège. Dans « La règle du jeu », les aristocrates et leurs domestiques ne se distinguent que par l'étage qu'ils occupent et le marquis Robert de la Chieynest et le valet Marceau jouent une partition commune. On se bat, on aime en désordre, on se plie aux règles ou on se joue de la naïveté des autres, une naïveté consacrée dès les premières images du film par un pilote amoureux. Renoir n'estime les passions amoureuses que sous les feux des circonstances. L’héroïne (interprétation quelconque, seule mauvaise note du film) change d’avis comme on change de couloirs et précipite ses prétendants vers le drame, un drame qui s’avérera aussi désopilant qu’inutile : un homme est mort mais demain est un autre jour...
Celui de la guerre que Renoir malin et cruel, annonce lors d'une partie de chasses où lapins et canards sont massacrés. « La règle du jeu » bûcher des vanités et des insouciances, mutilé par la pression commerciale puis réhabilité par son réalisateur n'est donc pas n'importe quel film. Ce n'est pas un film de patrimoine, non, c'est un film universel et intemporel. Renoir ne combat pas ses héros, il les accompagne et les aime comme on aime des fanfarons perdus dans une humanité qui se déchire sous les coups de canon.
Ne pas voir pour être vu. Vu par une caméra qui finalement n’est qu’un jouet comme ce magnifique orgue qu’anime avec jubilation monsieur le Marquis.
Plus qu’à voir, à désirer et à aimer !