Subtil, émouvant et drôle, ce portrait sonde le mystère Léaud à travers ses rôles, dont celui d'Antoine Doinel, qui l’intronisa à 14 ans acteur d’exception, scellant son lien unique avec François Truffaut – et avec le cinéma.
"Jean-Pierre Léaud existe-t-il vraiment en dehors de l'écran ? Ou appartient-il tout entier au cinéma ?" Parce que l'acteur mythique de la Nouvelle Vague a inventé une nouvelle manière d'être devant une caméra, "où tout est vrai et où tout est fiction", le portraitiste Cyril Leuthy (Godard – Seul le cinéma) tente d'approcher le mystère de sa personne à travers les personnages qu'il a fait exister si intensément au fil du temps. Antoine Doinel, d'abord, apparu comme un "miracle" devant François Truffaut, qui cherche en 1958 le héros de ses Quatre cents coups et comprend instantanément qu'il l'a trouvé avec ce gamin de 14 ans, si désireux d'être choisi, si drôle et émouvant face à la caméra du casting. Leur rencontre, entrée dans la légende du septième art par la grâce inouïe de ce premier film, inaugure la Nouvelle Vague et offre au jeune Léaud une double identité d'emprunt. "Alter ego" du cinéaste qui se reconnaît en lui, il devient un peu Truffaut en même temps que Doinel, pour se transformer progressivement lui-même en personnage à part entière : acteur phénomène, antihéros et star, dont le jeu et le phrasé si particuliers crèvent l’écran, entre autres chez Godard ou Eustache. Jouant avec un génie instinctif de son perpétuel décalage avec le monde, celui qui s’estime, comme François Truffaut, "sauvé" par le cinéma, dit y vivre une vie plus vraie à ses yeux que la vraie. Ce qui n’empêchera pas le milieu de l’oublier un temps, dans les années 1980, marquées pour lui par le coup terrible que lui porte la mort de Truffaut, le 21 octobre 1984.

Jeux de miroirs
Cette traversée chronologique de ce qui, plus que d’une carrière d’acteur, tient d’une œuvre se clôt avec La mort de Louis XIV, d’Albert Serra (2016). Cyril Leuthy y tisse avec virtuosité archives, extraits de films et entretiens inédits avec celles et ceux qui ont filmé Jean-Pierre Léaud au fil des décennies, ou ont partagé l'affiche avec lui : François Truffaut, bien sûr, mais aussi Noémie Lvovsky, Olivier Assayas, Lucas Belvaux, Aki Kaurismäki, Bertrand Bonello, Tsai Ming-liang, Macha Méril, Françoise Lebrun, Nathalie Baye… Pour élucider la nature unique de son "jeu-vérité", il demande également à des comédiens de se mettre dans ses pas, Michel Fau "interprétant" Jean-Pierre Léaud en redisant à l’image des citations puisées dans les archives, tandis que les jeunes Enzo Tinebra et Jean-Baptiste Le Vaillant s’emparent de certaines des répliques les plus fameuses d’Antoine Doinel. Ces jeux de miroirs entre le vrai et le faux, la fiction et la réalité, pétillent d’intelligence et d’émotion – celles de Léaud lui-même, mais aussi des voix, passées et présentes, qui parlent de lui. S’y ajoutera pour des générations de spectateurs la résonance intime suscitée par les films et les héros qui les ont fait vibrer, parfois il y a longtemps, comme un reflet de leur propre existence.

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