
Durant l'été 2003, un groupe de bergers à la tête d'un troupeau de moutons traverse les montagnes du Montana, à l'extrême Nord-Ouest des États-Unis. Sur 300 km de vallées verdoyantes et de plaines enneigées à perte de vue, les bergers acheminent tant bien que mal les centaines de moutons. Mais en cette paisible contrée rôdent loups et ours.
Premier rôle : John Ahern
Premier rôle : Elaine Allestad
Premier rôle : Lawrence Allestad
Premier rôle : Pat Connolly
Réalisation : Lucien Castaing-Taylor
Scénario : Lucien Castaing-Taylor
Producteur : Harvard Sensory Ethnography Lab
Producteur : Illisa Barbash
Directeur de la photo : Lucien Castaing-Taylor
Montage : Lucien Castaing-Taylor
Montage : Illisa Barbash
- Date de sortie en salles : 14 décembre 2011
- Type de film : Long métrage
- Couleur : Couleur
- Langue : Anglais
- Date de production : 2009
- Pays de production : France
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Critiques (3)
- Les Inrockuptibles - Serge Kaganski: Sweetgrass" (...) Sweetgrass est donc un chant du cygne, la dernière trace d’un monde en train de disparaître (et donc déjà disparu à l’heure de sa sortie en salle), une œuvre spectrale qui s’inscrit d’autant mieux dans la généalogie du western que ce genre s’est conjugué aussi à l’imparfait puisqu’il traitait une époque déjà révolue, la conquête de l’Ouest. Sweetgrass aurait pu s’intituler Il était une fois dans l’Ouest. C’est également un film sur l’épaisseur du temps, sa matérialité : temps nécessaire à l’élevage des ovidés comme à la fabrication d’un film qui s’est presque fondu dans son sujet (Castaing-Taylor est revenu de ce tournage au long cours dans le même état que les sheep-boys, visage mangé par la barbe et jambe boiteuse). Sweetgrass peut être vu comme un acte de résistance, modeste mais têtu, sinon à l’accélération, du moins à l’idéologie de la rentabilité et de l’immédiateté qui est en train de tout pourrir. C’est aussi là que résident sa puissance émotionnelle, sa beauté nue, sa fragile grandeur."
- L'Humanité - Dominique Widemann: Sweetgrass"Sweetgrass est un film sans réalisateur. C’est la revendication de ses deux auteurs, Lucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash. Lui enseigne l’ethnologie à Harvard. Elle est l’un des commissaires du musée d’anthropologie visuelle de l’université. Ils nous livrent à quatre mains, une caméra vidéo et un double regard, une œuvre cinématographique captivante jusqu’à l’hypnose. Dans les montagnes du Montana, quelque trois mille brebis quittent chaque été le ranch pour les pâtures d’altitude, accompagnées de rares cow-boys et de leurs chiens. Le troupeau nous apparaît d’abord, à hauteur de laine blanche et de museaux, dans le fracas de ses sabots et l’écorchure sonore de leurs bêlements. Un chaos en masse que sa presse transforme en une entité unique. L’hiver épuise sa neige. En posture « d’enregistreur », Lucien Castaing-Taylor est l’homme à la caméra.
La précision de l’observation animale, l’espace cinématographique accordé aux ovins comme à ceux qui en prennent soin fascinent d’autant mieux que nulle sentimentalité ne les gouverne. Corps-à-corps de la tonte, réception parfois brutale des agneaux nouveau-nés, myopes et luisants, sont chargés des forces propres de leurs nécessités. Comme plus tard le parcours périlleux qui mènera les bêtes incontrôlables au travers des bois et ravines jusqu’au faîte des montagnes Absaroka-Beartooth. Pour les hommes, se succéderont jusqu’au retour automnal jours et nuits de dur labeur sans la récompense de l’apaisement. Loups, grizzlys et autres prédateurs nyctalopes y guettent l’indocilité du troupeau quand les falaises piègent leur obstination aveugle.
John Ahern ressemblerait au cow-boy qui fut l’icône d’une célèbre marque de cigarettes si celui-ci avait survécu de quelques décennies à sa maladie pulmonaire. Mégot remâché sous son chapeau orné d’une brebis d’émail, il chantonne en sourdine et parle à son chien. Beaucoup plus jeune, Pat Connolly n’a pas encore gravi tous les degrés de la sagesse. Ou de la résignation. Le mythe du cow-boy en avait déjà pris un coup sous la précarité des tipis dressés contre les vents hurleurs, la solitude avouée entre les dents : « Pourquoi un chien m’aimerait quand les gens ne m’aiment pas ? » demandera John sans même se plaindre. En apogée, on verra Pat, à bout de nerfs, lancer aux brebis des bordées d’injures qui profanent la beauté des paysages. Puis, quand il sera perché sur un sommet, la folie de sa frustration se détachera devant un panoramique majestueux tandis qu’au téléphone il persécute sa mère de ses tourments.
À ce qui a été filmé sur trois saisons, choisi et monté pendant près de six années supplémentaires, Lucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash n’ajoutent aucune dramaturgie. Pas de musique. Aucun commentaire ne vient entraver le libre cheminement du spectateur, ménageant ses capacités d’immersion dans l’univers du film. Les relations entre hommes et animaux, hommes et nature, sont proposées aux perceptions et sentiments de chacun. L’ensemble compose une geste sans romantisme ni nostalgie, magnifique de compréhension humaine."
- Libération - Gérard Lefort: Sweetgrass" (...) La durée du film et sa dynamique sont indexées sur l’emploi du temps des bergers, cow-boys et girls de la famille Allestad de lointaine origine norvégienne. De traversée des torrents en veillée au feu de bois, le style est celui d’un western. Et puisqu’il s’agit de convoyer des bêtes, on songe fatalement au parangon du genre, La Rivière rouge, de Howard Hawks. Sweetgrass est peuplé de John Wayne survirils qui parlent peu mais insultent les brebis comme on ne parlerait pas à une pute, ou se marrent à une histoire de cerveau le plus cher du monde « parce qu’il appartient à un cow-boy et n’a donc jamais servi ». Mais Sweetgrass s’attache aussi à un Montgomery Clift fragile en la personne d’un certain Conolly, grand gaillard saisonnier qui, en plein milieu de nulle part (un sommet avec vue sur d’autres sommets), craque et appelle sa maman avec son téléphone portable : « C’est si dur, ça tuerait un cheval, je suis à bout. »
A rebours de son titre, le home de Sweetgrass n’est pas du tout sweet. Une vie de brutes dont la « sauvagerie » atteint autant les bêtes que les hommes. Les moutons qui se poussent sans cesse au risque d’éliminer les plus faibles d’entre eux dans un ravin propice, les chiens, molosses pas commodes qui se donnent du croc pour des questions de territoire, et les vrais bêtes sauvages, ours et loups, qui rôdent autour du troupeau.
Le point de vue oscille du macro (la transhumance filmée comme une déferlante) au micro (l’œil d’un cheval, l’intimité du bivouac). Ce va-et-vient dit la philosophie du film qui non seulement se préserve de tout point de vue dominant (folklorique ou autre) mais ouvre sa porte à la « folle du logis ». L’imagination est notre bâton de berger quand le vent des hauts plateaux du Montana, contrariant le grandiose des paysages, vient nous glacer les os.
Cette variété des styles, où les « événements » (l’égarement des moutons, la chasse nocturne des prédateurs, le périlleux franchissement d’un col) le disputent aux non-événements (routine, fatigue, ennui), dit surtout, comme un mouvement d’expiration-inspiration, le souffle poétique du film. On peut parler d’élégie à condition de chasser les gémissements romantiques attachés à ce genre pour n’en garder que l’origine antique. Tel le Virgile des Bucoliques, les auteurs de Sweetgrass ont l’air heureux de celui « qui a pu pénétrer la raison des choses ». Au terme de sa randonnée en aussi bonne compagnie, le spectateur n’est pas malheureux non plus."