Liste de lecture deJosé Luis Guerin
0 filmDélaissé par sa fiancée qui doit se rendre à Londres, Adrien décide de passer ses vacances à faire l'expérience d'une vie monacale dans le calme d'une grande maison. Mais à la villa il y a déjà deux occupants : Daniel, un ami artiste, et une jeune inconnue, Haydée. Cette dernière, qui collectionne les amants et rentre à des heures indues, trouble Adrien dans son projet ascétique. Il la pousse dans les bras de Daniel, mais bientôt celui-ci s'en va. Adrien commence alors à faiblir, il est sur le point de céder au charme de la jeune femme. Un Rohmer estival, éblouissant et sensuel. Prix spécial du jury à Berlin en 1967.
Premier rôle : Patrick Bauchau
Premier rôle : Haydée Politoff
Premier rôle : Daniel Pommereulle
Premier rôle : Alain Jouffroy
Second rôle : Mijanou Bardot
Second rôle : Annick Morice
Second rôle : Dennis Berry
Second rôle : Seymour Hertzberg
Réalisation : Éric Rohmer
Scénario : Éric Rohmer
Producteur : Georges de Beauregard
Producteur : Barbet Schroeder
Directeur de la photo : Nestor Almendros
Montage : Jackie Raynal
Musique originale : Giorgio Gomelsky
Musique originale : The Blossoms Toes
- Type de film : Long métrage
- Couleur : Couleur
- Langue : Français
- Date de production : 1966
- Pays de production : France
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Critiques (4)
- Libération - Louis Skorecki: La Collectionneuse" La vivacité du cinéma d'Eric Rohmer, sa transparence têtue, son classicisme documentaire (et même son côté vieillot) font de lui le mètre étalon du cinéma français, celui à qui tout ce qui se fait de neuf se réfère, le modèle avec lequel on aime se mesurer, se comparer, à l'image de Woody Allen dans le cinéma américain. Le moins « rohmérien », dans tout cela, c'est encore Rohmer lui-même, insaisissable dans sa fidélité à lui-même, toujours aussi énervant mais toujours aussi imprévisible.
La Collectionneuse, par exemple, si l'on s'en tient à son scénario (une fille, deux mecs, la sensualité de l'entre-deux, une sorte de suspense sentimental minimal), aurait pu être signée Truffaut, Vadim, Benazeraf, Godard, Chabrol, Demy ou Rozier, mais au bout de trois minutes tout le monde sait que c'est du Rohmer. Comme dans tout film de maître qui se respecte, l'histoire ne se lit pas à travers les quelques lignes romanesques qui lui servent de prétexte (le scénario), mais par le biais de la seule mise en scène. Dans La Collectionneuse, ce sont les postures des trois personnages principaux, ce relâchement de tout le corps à mi-chemin entre méditation méditerranéenne et devenir végétatif, entre subtilité et lourdeur, entre intelligence et crétinerie, qui donne à l'histoire en perpétuel devenir ses allures louches si curieusement érotisées. Haydée Politoff, à la fois bimbo bandante et boudin dodu, s'offre avec nonchalance à la concupiscence de Daniel Pommereulle (dans son propre rôle d'artiste mondain) et de Patrick Bauchau, pas encore recyclé en méchant de cinéma (face à James Bond) ou de télévision (face au Caméléon).
A propos de télévision, La Collectionneuse peut aussi se voir comme une version prémonitoire de Sous le soleil, le feuilleton sentimental tropézien de TF1 (...), concurrent sublimement imbécile des meilleures productions AB, dont Rohmer se contenterait de filmer, en le ralentissant à l'extrême, un détail particulièrement insignifiant. Mais n'est-ce pas là l'une des définitions possibles de l'art moderne ?"
- Télérama - Claude-Jean Philippe, 12/03/1967: La Collectionneuse" Oui (...) Rohmer est un moraliste. Il a connu ces personnages. Car ces gens existent, avec leurs cheveux longs, leurs soucis d'âme et leurs paroles définitives. Il a voulu les peindre, comme les romanciers de toujours ont voulu peindre les hommes de leur temps. Ce faisant, il leur laisse toutes leurs chances. Adrien, Daniel, Haydée ne peuvent se réduire à des formules faciles qui impliquent un jugement. Adrien n'est pas (seulement) un « jeune mondain paresseux », Daniel n'est pas (seulement) un « peintre d'avant-garde agressif ». Haydée n'est pas une « jeune gourde facile ».
Rohmer nous apprend à les connaître dans le déroulement même de leur vie, où chaque instant ajoute sa nuance et son risque. Si ce film est beau c'est parce qu'on ne peut l'arrêter, parce qu'il coule en nous, comme notre pensée, comme nos relations avec ceux qui nous entourent, relations changeantes, incertaines, espérées, déçues. Le moralisme alors devient morale, c'est-à-dire attention exigeante
(...) ce que Rohmer montre précisément c'est l'incapacité où se trouvent les joueurs de pénétrer réellement dans l'intimité de l'autre. Adrien et Daniel ne peuvent échanger que leurs pensées. Ensemble ils ne peuvent réellement connaître Haydée. Ce qui les retient est plus grave que leur cynisme. C'est cette dilatation en eux de la conscience. Ils en sont hantés, dévorés. Ils veulent faire le vide en eux, trouver le rien, mais toujours le miroir est là qui leur renvoie leur pensée à l'infini, comme un vertige. Rohmer met ainsi l'accent sur le drame de la pensée moderne. L'impossibilité où elle se trouve de sortir d’elle-même. Adrien le sait bien. « L’important, dit-il, n'est pas de penser, mais de participer. » Mais cette participation lui est refusée.
Pourtant sa nature autour de lui offre ses plus radieux prestiges. Haydée, elle-même, émane du paysage. Elle est naturelle. Liane, fruit, pulpe vivante, prodige de grâce et d'élégance, mais qui n’est pas simplement animale. Elle aussi cherche et ne trouve pas. Un peu d'amitié, peut-être, simplement...
Il fallait que le film soit beau, souverainement beau, pour faire apparaître, sous une lumière qui ne fut jamais si chaude et dorée, ce sentiment d'un paradis offert et refusé, d'une innocence vouée à l'inquiétude. Il y a une évidence du monde autour de nous, des choses, des gens, des êtres. Cette évidence est merveilleuse au premier regard, celui de l'artiste. Mais déjà le second regard trouble en appuyant. Pouvons-nous connaître et reconnaître, comprendre, aimer ?"
- Les Lettres françaises - Marcel Martin, 9/03/1967: La Collectionneuse" Attachante personnalité que celle d'Eric Rohmer : Le Signe du lion, qui fut l’un des films « maudits » de la Nouvelle Vague, manifestait une pénétration psychologique et un refus de la facilité dignes d'un meilleur sort. Après d’innombrables difficultés et une série de courts et moyens métrages réalisés dans des conditions précaires, Eric Rohmer a finalement pu mener à bien un second long métrage qui est le quatrième de six « contes moraux » qu’il a ainsi définis à notre consœur Yvonne Baby : « Dans chacun des contes, il y a un homme qui cherche une femme, en rencontre une autre et passe presque tout le temps avec la seconde. Finalement, il revient à la première. » Les deux premiers de ces contes (La Boulangère de Monceau, La Carrière de Suzanne) donnaient l'impression d’essais, de brouillons : par contre La Collectionneuse est un film important, une œuvre achevée.
(...) On reconnaît un certain type de cinéma intellectuel et cérébral largement pratiqué par la Nouvelle Vague (Pierre Kast) et inauguré par Alexandre Astruc (Le Rideau cramoisi, 1952) et Agnès Varda (La Pointe courte, 1954) : analyse d’un « cas » psychologique, commentaire à la première personne, rôle prépondérant du texte sur l’image. On peut trouver insupportable ce genre de cinéma ou y voir une des voies essentielles d’approfondissement et d’accomplissement du septième art : c’est selon. Toujours est-il que Rohmer en a fait le postulat de tous ses films et qu’il le pratique avec une rigueur d’autant plus méritoire, qu’il refuse par ailleurs toutes les facilités que pourrait lui offrir l’image, constamment d’une parfaite sobriété.
Mais si La Collectionneuse évite tout esthétisme plastique, c’est pourtant l’œuvre d’un esthète et d’un esthète glacé ; de même qu’il refuse toute « complicité émotionnelle », dit-il, entre ses personnages et le spectateur, de même il rejette toute émotion esthétique. Mais, et ceci me semble être la clé de son caractère et de ses films, Rohmer a remplacé la morale par une esthétique, il conçoit la vie comme une œuvre d’art, en fonction du dandysme aristocratique qui s’avère être le fondement de son éthique. Quoiqu’il s’en défende, on peut tout de même considérer qu’Adrien est, peu ou prou, son porte-parole, le propagandiste de cet individualisme forcené, de ce narcissisme hautain, de cette solitude persécutée qui définissent l’attitude du personnage et de l’auteur.
Il est clair que Rohmer est un homme du XVIIIème siècle, qu’il aurait été heureux « avant la montée du peuple », comme dit à peu près Adrien, et que son libertinage moderne n’a rien de révolutionnaire. Car une telle idéologie s’avère, qu’il le veuille ou non, de droite. Ce que Pierre Kast cherchait à faire dans une perspective de gauche (élaborer une nouvelle morale collective fondée sur une liberté délibérément assumée), Rohmer, tourné vers le passé, le rêve dans une perspective où les concepts esthétiques remplacent les valeurs morales et les égoïsmes individuels les impératifs sociaux. Cette idéologie de droite s'épanouit naturellement mieux dans la luxuriante nature tropézienne que dans la grisaille des banlieues ouvrières, même lorsque notre dandy, pour accroître ses mérites, se veut « fauché ».
Telles sont, à mon sens, les ambiguités de ce film à la fois irritant et charmeur, en tout cas original et personnel. La qualité de l’interprétation est l’un des facteurs essentiels de son intérêt : il faut louer Patrick Bauchau et Daniel Pommereulle (encore que leurs personnages soient assez effacés) mais surtout Haydée Politoff, merveilleux petit animal sensuel et satanique. "
- Cinéma - Joël Magny, 06/11/1985: La CollectionneuseC’est incontestablement la Collectionneuse qui a révélé Eric Rohmer à un large public. Il s’agissait en fait du quatrième « conte moral », venant à la suite de la Boulangère de Monceau (1962), de la Carrière de Suzanne (1963) et de Ma nuit chez Maud. Pour raison de disponibilité de Jean-Louis Trintignant dont Rohmer tenait à faire le narrateur de ce film, le tournage de Ma nuit chez Maud fut repoussée à 1969 et celui du quatrième conte entrepris dès 1967, aux environs de St-Tropez. Le « hasard » permis donc à la Collectionneuse d’ouvrir la voie au succès de Ma nuit chez Maud, et l’on peut s’interroger à perte de vue pour savoir ce qu’il en aurait été si ce dernier film était sorti avant la percée opérée par la Collectionneuse.
Car la Collectionneuse fut une double surprise pour les spectateurs.
D’abord parce que le film présentait des personnages strictement contemporains que l’on avait peu coutume de voir dans le cinéma français, même s’ils appartenaient à un milieu particulier, où se mêlent dandysme, snobisme et oisiveté autour du commerce ou de la pratique de l’art.
Mais surtout parce que cette description d’une jeune fille de mœurs libres (ce sont évidemment les hommes qu’elle collectionne) et de personnages aussi originaux et marqués d’une agressive modernité, dans les goûts comme dans le comportement, surprit de la part de l’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, réputé pour son sérieux, son rigorisme puritain, son refus de la mode et des marques superficielles de la modernité. Il faut relire les précautions de Claude-Jean Philippe s’adressant alors aux lecteurs de Télérama :
« Les personnages de la Collectionneuse ne pourront manquer de vous gêner, sinon de vous scandaliser. Ce sont des oisifs et des cyniques, ouvertement paresseux et jouisseurs. Leur langage même vous choquera. Les personnages de la Collectionneuse ne lisent certainement pas Télérama. Et les lecteurs de Télérama ne s’intéressent certainement pas à de tels personnages. Rohmer comblera-t-il le fossé ?»
La Collectionneuse connut donc un succès peut-être ambigu. Sans doute, plutôt que le scandale, est-ce l’immoralité, le cynisme de ses personnages qui séduisit alors. La Collectionneuse n’en reste pas moins un « conte moral », plutôt qu’un conte libertin. Fondé sur le même principe dramatique que les autres contes (« Un homme qui est éloigné de la femme qu’il aime rencontre une tentatrice mais revient finalement à la première femme»), celui-ci est centré sur le narrateur, Adrien, désireux de se mettre en vacances totales mais voyant son entreprise perturbée par la présence de Haydée, la collectionneuse.
Adrien va s’inventer toutes les justifications pour à la fois résister à la fascination dérangeante qu’exerce Haydée et ne cesser de la harceler et de la piéger: sa bonne conscience, celle qui inspire ses monologues intérieurs, s’effrite au contact des faits.Son ouverture d’esprit est contredite par son agacement face aux mœurs de la jeune femme, ses constructions morales (aspiration à la pureté, au vide) révèlent, au lieu d’une rigueur annoncée, une hésitation constante et de perpétuels revirements, à l’opposé du comportement de son ami peintre, Daniel, plus intuitif et spontané (mais lui aussi se prend au piège de son personnage : voulant être un «barbare», il ne sait rompre avec Haydée qu’en tentant de se donner le beau rôle...).
Proche par certains côtés de la Carrière de Suzanne, la Collectionneuse décrit deux êtres contemporains, intellectuels et pseudoartistes (plus en idées qu’en actes), imbus de leur personne, de leur rôle, de leur aspect, méprisant une jeune femme dont le comportement échappe à leurs critères et laissant leur apparence éclater au contact d’une réalité simple : la beauté et la liberté physique, naturelle, de cette collectionneuse... Tous deux choisiront la fuite vers des «valeurs» plus sûres. Du moins selon eux.
Ce film fait partie des listes de :
- Liste de lecture deRebecca Zlotowski2 films
vos avis (4)
Tout voir- HELENE18 juin 2023
- Laurent27 novembre 2022D'accord, c'est du "Rohmer", mais moi je ne peux pas voir des "acteurs" qui jouent aussi mal !!
- Bastien26 mars 2021
- Christian01 octobre 2020Son meilleur film !