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L'Amour l'après-midi
1H37Cinéma / DrameFrance
Frédéric, séduisant cadre dynamique coule avec sa femme Hélène des jours tranquilles. Quand dans son bureau arrive Chloé, une vieille connaissance qui prétexte chercher du travail, Frédéric est troublé. Leurs entrevues se multiplient et plongent bientôt Frédéric dans la perplexité.
Premier rôle : Bernard Verley
Premier rôle : Zouzou
Premier rôle : Françoise Verley
Premier rôle : Daniel Ceccaldi
Second rôle : Malvina Penne
Second rôle : Babette Ferrier
Second rôle : Tina Michelino
Second rôle : Jean-Louis Livi
Second rôle : Pierre Nunzi
Second rôle : Claude-Jean Philippe
Second rôle : Marie-Christine Barrault
Second rôle : Françoise Fabian
Réalisation : Éric Rohmer
Scénario : Éric Rohmer
Producteur : Barbet Schroeder
Producteur : Pierre Cottrell
Directeur de la photo : Nestor Almendros
Directeur de la photo : Philippe Rousselot
Directeur de la photo : Jean-Claude Rivière
Montage : Cécile Decugis
Montage : Martine Kalfon
Son : Jean-Pierre Ruh
Musique originale : Arié Dzierlatka
Décors : Nicole Rachline
Costumes : Daniel Hechter
- Date de sortie en salles : 29 septembre 1972
- Type de film : Long métrage
- Couleur : Couleur
- Langue : Français
- Date de production : 1972
- Pays de production : France
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Critiques (2)
Télérama - Claire Vassé: L'Amour l'après-midi
" Pour clore ses « Contes moraux », Rohmer quitte la sensualité estivale de La Collectionneuse et du Genou de Claire pour la grisaille de la vie de bureau parisienne. Mais, paradoxalement, c'est le conte où il laisse poindre le plus la dimension érotique de son cinéma. Et pas seulement parce qu'il y dénude davantage les corps. Ses personnages, loin des milieux dandys des précédents films, badinent moins bien avec l'amour.
Quand déboule le corps sulfureux de Chloé (Zouzou), les flots de paroles n'arrivent plus à cacher les attraits de la chair. Bien décidée à prendre en charge le récit de son « aventure » avec Chloé, la voix off de Frédéric finit par disparaître. Dans la séquence où il rêve qu'il est en possession d'un médaillon magique, on retrouve les héroïnes des Rohmer précédents. Hormis Béatrice Romand, toutes succombent à ses avances. Un fantaisiste clin d'oeil qui en dit long sur l'ambiguïté du système moral de la série."
Quand déboule le corps sulfureux de Chloé (Zouzou), les flots de paroles n'arrivent plus à cacher les attraits de la chair. Bien décidée à prendre en charge le récit de son « aventure » avec Chloé, la voix off de Frédéric finit par disparaître. Dans la séquence où il rêve qu'il est en possession d'un médaillon magique, on retrouve les héroïnes des Rohmer précédents. Hormis Béatrice Romand, toutes succombent à ses avances. Un fantaisiste clin d'oeil qui en dit long sur l'ambiguïté du système moral de la série."
Le Nouvel Observateur - Jean-Louis Bory, 4 septembre 1972: L'Amour l'après-midi
" Le nombre VI, en chiffres romains, rayonne en tête du générique. C’est pour avertir : Rohmer nous annonce le sixième de ses Contes moraux. Sixième chapitre d’une œuvre qui se développe avec autant de cohérence intime que d’obstination dans le propos. C’est nous inviter en même temps à établir des liens entre « l’Amour l’après-midi » et d’autres contes moraux, comme La Collectionneuse, Ma nuit chez Maud ou Le Genou de Claire.
Avec plaisir.Rohmer n’a jamais caché la fascination qu’exerce sur lui une certaine littérature : celle qu’illustrent les conteurs du XVIIIe siècle, Laclos, Duclos, Vivant Denon, Mmes de Genlis et de Tencin. Tous dans « le goût français », qui allie la subtilité et la richesse de l’analyse psychologique à l’élégante limpidité du style, non sans un je ne sais quoi d’un peu compassé dans la distinction. Rohmer, loin de camoufler, revendique cette filiation littéraire. Il lance son conte par un prologue, c’est-à-dire un discours préliminaire qui est beaucoup plus qu’un préambule banal. Très écrit, et où l’image, plus qu’à illustrer le monologue, sert à en assurer visuellement la continuité, ce commentaire en off pose comme préalable au déroulement du « conte moral » le recours à un langage qui installe une tension, une tenue supérieures à celles que réclame le langage ordinaire (celui du dialogue « réaliste ») ; il suscite, par rapport à ce dialogue, une distance qui favorise l’exercice de l’analyse psychologique et, par conséquent, implique et soutient la prééminence de cette analyse psychologique dans l’étude morale des personnages, de leurs mœurs, de leur comportement —- c’est-à-dire dans la peinture de leur portrait et dans le récit de leurs aventures.
Si bien que» lorsque le commentaire en off, sa fonction remplie, disparaît et que Rohmer attaque le conte proprement dit, nous avons pris l’habitude de pareille analyse, d’essence littéraire. Nous la poursuivons pour notre compte, nous pouvons imaginer le texte du cinéma que se font les personnages derrière leur front ou au fond de leur regard ; Rohmer n’a plus besoin de l’écrire et de le faire lire, plus besoin de s’appuyer sur ce matériau déjà élaboré, déjà transformé par le style ; il n’a plus qu’à présenter les éléments d’une réalité brute, directe : images, bruits réalistes, paroles (non plus le discours, mais des fragments de conversation courante). Le commentaire en off — sa littérature — ne réapparaît que par intermittences. Sans doute pour relancer l’analyse dont il indique ainsi un temps fort, une étape déterminante dans l’évolution des personnages ; mais surtout pour souligner la durée : l’évolution du personnage et de l’analyse de cette évolution (ce qui est la matière même du conte moral) réclament du temps.
On mesure l’efficacité supplémentaire de cette méthode. Débarrassé, par le texte en off, des servitudes imposées par les indications chronologiques et la nuance psychologique, Rohmer peut s’offrir le luxe, la fantaisie d’aller à toute vitesse, d’escamoter les transitions par une rafale d’ellipses nettement tranchées. Avec hardiesse, il juxtaposeles pièces d’un puzzle, dont il nous a, d’autre part, donné les clefs. Double résultat : Rohmer trouve l’équivalent cinématographique de la rapidité, de la sécheresse des contes du xviii” siècle — ce sont des récits sans graisse —, et cette bousculade, carrousel des entrées et des sorties, énervement des portes et des téléphones, donne une bonne image de la vie usante que mène le héros du conte.Image importante, on s’en doute. Elle participe du portrait. Ce portrait, animé de l’intérieur par l’analyse psychologique, apparaît purement cinématographique : tout en notations visuelles et auditives. Il décrit l’individu par son milieu : sa ville — ici Paris (et Rohmer excelle à suggérer la présence d’une ville, magasins, cafés, rues, que ce soit Paris (Le Signe du lion) ou Clermont-Ferrand (Ma nuit chez Maud) ; sa famille ; son métier — ici, un homme marié, un enfant, bientôt deux, jeune patron —, tout cela évoqué en deux secrétaires et trois coups de téléphone. Bref, Fencore-jeune-bourgeois-moyen, « très dans la vie », avec ce que cela suppose de confort intellectuel et d’habituel arrière-plan culturel.
Ce n’est pas le portrait qu’ont pour fin l’analyse littéraire et la description cinématographique ; c’est le récit d’un conflit. Une aventure morale dont Rohmer poursuit l’étude, de conte en conte : l’amour, le problème du couple, du vieillissement, des enfants. Le sixième conte moral traite de l’amour conjugal et de la tentation de l’aventure hors ménage.
Délicieux entracte dans la bousculade et la routine. La pause. Les vacances. Bref, le rêve (une très brève conséquence d’allure onirique nous montre le rêve du monsieur : Casanova, Lovelace, don Juan n’ont plus qu’à se rhabiller). Imagine-t-on ce que représente, pour un citoyen normalement civique, donc occupé, l’amour l’après-midi ? Cet entracte précisément. Cette pause des vacances. Avec la sensation d’une liberté insolite, d’une disponibilité irrégulière, d’une fête illicite, rayonnant de tout ce que l’après-midi irradie de complicité solaire, de lumière heureuse. Mais tout le monde sait que l’après-midi c’est pour le boulot, l’amour c’est pour le dodo. Faire l’amour l’après-midi, c’est le faire à contre-rythme. C’est un scandale parce que c’est le désordre.
Le désordre est incarné par une femme : Chloé est le désordre. Une irrégulière. Une femme libre, selon la conception que la morale bourgeoise se fait de la femme libre — une collectionneuse. Aujourd’hui, doublée d’une contestataire, professant la polyandrie, l’exclusivité du plaisir, la nécessité de la fête. Le conflit entre le mari et Chloé, entre le régulier et l’irrégulière, entre l’ordre et le désordre, prend la forme d’une épreuve. Pour Chloé, ce sera saper l’ordre bourgeois que séduire le mari fidèle, même au prix de cette concession qu’est le mensonge du cinq-à-sept-pour-adultère, acception bourgeoise de « l’amour l’après-midi ». Epreuve que rendent redoutable pour le mari le cheminement sournois, l’insidieux dérèglement de la cristallisation amoureuse (les dons analytiques de Rohmer, là, font merveille). C’est alors que le conte moral se fait moralisateur — et réactionnaire.
Comme les autres contes moraux de Rohmer « Mon après-midi chez Chloé » se termine comme Ma nuit chez Maud. Le corps entier de Chloé ne réussira pas là où a échoué le genou de Claire. Le désordre n’aura pas lieu. Vade rétro Satanas. La tenue, la tension du commentaire-prologue prend une valeur morale. Elle est édifiante. Elle enseigne une tension, une tenue dans les sentiments et la conduite. Une distance à sauvegarder, au besoin par la fuite, devant la tentation du désordre. S’il doit y avoir l’amour l’après-midi, ce sera avec bobonne. La fête sera conjugale ou ne sera pas."
Avec plaisir.Rohmer n’a jamais caché la fascination qu’exerce sur lui une certaine littérature : celle qu’illustrent les conteurs du XVIIIe siècle, Laclos, Duclos, Vivant Denon, Mmes de Genlis et de Tencin. Tous dans « le goût français », qui allie la subtilité et la richesse de l’analyse psychologique à l’élégante limpidité du style, non sans un je ne sais quoi d’un peu compassé dans la distinction. Rohmer, loin de camoufler, revendique cette filiation littéraire. Il lance son conte par un prologue, c’est-à-dire un discours préliminaire qui est beaucoup plus qu’un préambule banal. Très écrit, et où l’image, plus qu’à illustrer le monologue, sert à en assurer visuellement la continuité, ce commentaire en off pose comme préalable au déroulement du « conte moral » le recours à un langage qui installe une tension, une tenue supérieures à celles que réclame le langage ordinaire (celui du dialogue « réaliste ») ; il suscite, par rapport à ce dialogue, une distance qui favorise l’exercice de l’analyse psychologique et, par conséquent, implique et soutient la prééminence de cette analyse psychologique dans l’étude morale des personnages, de leurs mœurs, de leur comportement —- c’est-à-dire dans la peinture de leur portrait et dans le récit de leurs aventures.
Si bien que» lorsque le commentaire en off, sa fonction remplie, disparaît et que Rohmer attaque le conte proprement dit, nous avons pris l’habitude de pareille analyse, d’essence littéraire. Nous la poursuivons pour notre compte, nous pouvons imaginer le texte du cinéma que se font les personnages derrière leur front ou au fond de leur regard ; Rohmer n’a plus besoin de l’écrire et de le faire lire, plus besoin de s’appuyer sur ce matériau déjà élaboré, déjà transformé par le style ; il n’a plus qu’à présenter les éléments d’une réalité brute, directe : images, bruits réalistes, paroles (non plus le discours, mais des fragments de conversation courante). Le commentaire en off — sa littérature — ne réapparaît que par intermittences. Sans doute pour relancer l’analyse dont il indique ainsi un temps fort, une étape déterminante dans l’évolution des personnages ; mais surtout pour souligner la durée : l’évolution du personnage et de l’analyse de cette évolution (ce qui est la matière même du conte moral) réclament du temps.
On mesure l’efficacité supplémentaire de cette méthode. Débarrassé, par le texte en off, des servitudes imposées par les indications chronologiques et la nuance psychologique, Rohmer peut s’offrir le luxe, la fantaisie d’aller à toute vitesse, d’escamoter les transitions par une rafale d’ellipses nettement tranchées. Avec hardiesse, il juxtaposeles pièces d’un puzzle, dont il nous a, d’autre part, donné les clefs. Double résultat : Rohmer trouve l’équivalent cinématographique de la rapidité, de la sécheresse des contes du xviii” siècle — ce sont des récits sans graisse —, et cette bousculade, carrousel des entrées et des sorties, énervement des portes et des téléphones, donne une bonne image de la vie usante que mène le héros du conte.Image importante, on s’en doute. Elle participe du portrait. Ce portrait, animé de l’intérieur par l’analyse psychologique, apparaît purement cinématographique : tout en notations visuelles et auditives. Il décrit l’individu par son milieu : sa ville — ici Paris (et Rohmer excelle à suggérer la présence d’une ville, magasins, cafés, rues, que ce soit Paris (Le Signe du lion) ou Clermont-Ferrand (Ma nuit chez Maud) ; sa famille ; son métier — ici, un homme marié, un enfant, bientôt deux, jeune patron —, tout cela évoqué en deux secrétaires et trois coups de téléphone. Bref, Fencore-jeune-bourgeois-moyen, « très dans la vie », avec ce que cela suppose de confort intellectuel et d’habituel arrière-plan culturel.
Ce n’est pas le portrait qu’ont pour fin l’analyse littéraire et la description cinématographique ; c’est le récit d’un conflit. Une aventure morale dont Rohmer poursuit l’étude, de conte en conte : l’amour, le problème du couple, du vieillissement, des enfants. Le sixième conte moral traite de l’amour conjugal et de la tentation de l’aventure hors ménage.
Délicieux entracte dans la bousculade et la routine. La pause. Les vacances. Bref, le rêve (une très brève conséquence d’allure onirique nous montre le rêve du monsieur : Casanova, Lovelace, don Juan n’ont plus qu’à se rhabiller). Imagine-t-on ce que représente, pour un citoyen normalement civique, donc occupé, l’amour l’après-midi ? Cet entracte précisément. Cette pause des vacances. Avec la sensation d’une liberté insolite, d’une disponibilité irrégulière, d’une fête illicite, rayonnant de tout ce que l’après-midi irradie de complicité solaire, de lumière heureuse. Mais tout le monde sait que l’après-midi c’est pour le boulot, l’amour c’est pour le dodo. Faire l’amour l’après-midi, c’est le faire à contre-rythme. C’est un scandale parce que c’est le désordre.
Le désordre est incarné par une femme : Chloé est le désordre. Une irrégulière. Une femme libre, selon la conception que la morale bourgeoise se fait de la femme libre — une collectionneuse. Aujourd’hui, doublée d’une contestataire, professant la polyandrie, l’exclusivité du plaisir, la nécessité de la fête. Le conflit entre le mari et Chloé, entre le régulier et l’irrégulière, entre l’ordre et le désordre, prend la forme d’une épreuve. Pour Chloé, ce sera saper l’ordre bourgeois que séduire le mari fidèle, même au prix de cette concession qu’est le mensonge du cinq-à-sept-pour-adultère, acception bourgeoise de « l’amour l’après-midi ». Epreuve que rendent redoutable pour le mari le cheminement sournois, l’insidieux dérèglement de la cristallisation amoureuse (les dons analytiques de Rohmer, là, font merveille). C’est alors que le conte moral se fait moralisateur — et réactionnaire.
Comme les autres contes moraux de Rohmer « Mon après-midi chez Chloé » se termine comme Ma nuit chez Maud. Le corps entier de Chloé ne réussira pas là où a échoué le genou de Claire. Le désordre n’aura pas lieu. Vade rétro Satanas. La tenue, la tension du commentaire-prologue prend une valeur morale. Elle est édifiante. Elle enseigne une tension, une tenue dans les sentiments et la conduite. Une distance à sauvegarder, au besoin par la fuite, devant la tentation du désordre. S’il doit y avoir l’amour l’après-midi, ce sera avec bobonne. La fête sera conjugale ou ne sera pas."