" Cet idiot-là, nommé Pavel, n'est pas, quoi qu'il en ait, celui de Dostoïevski. C'est un véritable ignorant, qui ne sait rien de rien, plus proche, si on tient à l'inscrire dans la culture slave, de l'Innocent de
Boris Godounov que du prince Muychkine. Mais moins qu'aux références littéraires, c'est à l'état du cinéma tchèque, voire du cinéma de l'ensemble des pays de l'Est (sinon à un état général du cinéma) que renvoie cet étrange étranger surgi dans un train de nuit, embarqué dans un voyage dont il ne maîtrise ni le but ni les moyens, mis en présence de compagnons avec lesquels il ignore sur quel pied danser.
Ces compagnons, apparus au cours d'une succession de scènes dont il semble que chacune existe pour elle-même, avant qu'on découvre comment elles s'emboîtent, sont pour l'essentiel deux soeurs et deux frères. Chacun est fiancé à chacune, chacun a une liaison avec l'autre. Cet artifice de scénario, ce vaudeville au carré est le véritable terrain d'aventure de Pavel, et d'un film qui va s'ingénier à ne prendre en compte les situations absurdement compliquées et factices qu'il a élaborées que du point de vue d'un « héros » qui ne voit rien plus loin que le bout de son nez, ni au-delà d'une morale minimale et exigeante.
Le résultat est une comédie grinçante et douce, servie par de fort bons acteurs (et des actrices meilleures encore), avec une sorte de cruauté retenue qui évoque sans doute (on en a tellement envie !) le souvenir des films du « printemps de Prague », exemplairement Au feu les pompiers ! de Milos Forman.
Le Retour de l'idiot n'imite pas la virulence des films de cette époque révolue, il en est comme l'écho assourdi. Les temps ont changé, l'assurance critique envers la société a laissé place à un fatalisme généralisé, au sein duquel il faut vraiment être un idiot pour vouloir encore mettre en cause ce médiocre théâtre des familles, des sentiments, des foules en réjouissances programmées.
Si le deuxième film du jeune réalisateur praguois est admirable, c'est qu'il parvient à ressusciter ces interrogations sans mépris aucun pour ses personnages, qu'il serait pourtant facile de montrer odieux ou ridicules. C'est que cet « idiot » qui revient est aussi le cinéma tchèque, voire les cinématographies de la région, grâce à un jeune réalisateur héritier d'une tradition qu'on croyait éteinte et qui renoue, sans lourdeur passéiste ni trahison pseudo-moderniste, avec la capacité de raconter des histoires, de regarder les gens et comme ils vivent, d'inspirer émotions et pensée. Au-delà, cet « idiot » est aussi le cinéma lui-même, miraculeusement doté d'une innocence retrouvée - innocence qui n'est certes pas la bêtise, juste le déni de la raison des plus forts. Pas si loin de Muychkine, lui."