"Parmi les cinéastes américains devenus des icônes vivantes,
Jim Jarmusch est aujourd'hui l'anti-Martin Scorsese. Tandis que Marty s'acharne à nier le temps qui passe en déployant une énergie surhumaine pour livrer encore des films de jeune homme — comme son
Loup de Wall Street déchaîné —, Jim affiche sa mélancolie et sa nostalgie. Il met de plus en plus en scène sa distance au monde. Cette posture semblait le conduire lentement à l'impasse dans son film précédent, trop désincarné,
The Limits of control. Au contraire, il retrouve avec celui-ci un élan, une espièglerie et une sensibilité inespérés.
(..) Eve et Adam (pas moins), suscitent d'emblée une sympathie qui peut tourner à l'adoration, vous voilà prévenus. Elle, parce que c'est Tilda Swinton la sublime, plus égérie que jamais, visage extraterrestre sans âge, longue silhouette adolescente. Lui (Tom Hiddleston, vu dans
Thor et
The Deep Blue Sea), parce qu'il est pâle, fragile, reclus dans un charmant bric-à-brac vieux garçon où trônent ses guitares de collection.(...)Comment vivre quand on a déjà eu plusieurs vies ? Telle est l'interrogation qui hante leurs voyages immobiles ou transatlantiques — Jim Jarmusch, ex-prince de l'avant-garde new-yorkaise, se posait déjà la question dans
Broken Flowers, en 2005. Une part de misanthropie, un dégoût du présent filtrent à travers leurs commentaires acerbes sur l'évolution des humains et du monde. On aurait tort, pourtant, d'en rester aux déclarations : leurs envoûtantes balades nocturnes dans Tanger et Detroit, ville fantôme, célèbrent la transformation inéluctable des choses ou des lieux. Et disent la beauté des ruines, viviers de nouveauté en sommeil.
L'autre antidote au désenchantement, c'est l'idéal du couple, que le cinéaste réhabilite avec une ferveur et une douceur inattendues. Regarder passer les époques à deux, depuis le balcon de leur bizarrerie, voilà le
hobby préféré d'Adam et Eve, les « seuls amants restés en vie » comme dit le titre."